Le Soudan, deuxième plus grand pays d’Afrique, partage ses frontières avec la Libye, l’Egypte, l’Erythrée, l’Ethiopie, le Tchad et la République centrafricaine ainsi qu’avec le Soudan du Sud depuis que cette région a proclamé son indépendance en 2011.
Depuis plus d’un demi-siècle, le Soudan est ravagé par les conflits armés : guerres civiles, affrontements entre le Nord et le Sud mais aussi à l’Ouest, depuis 2003, avec le conflit du Darfour. Ce vaste pays caractérisé par une grande diversité ethnique fait aujourd’hui face à des mouvements de population massifs et une situation humanitaire alarmante. En 2016, les Soudanais représentaient le premier flux des demandes de protections internationales déposées en France.
L’HISTOIRE DU SOUDAN
- Une histoire marquée par les guerres civiles : Lorsque le Soudan devient indépendant en 1956, c’est une dictature militaire qui succède à l’administration britannique. Le pays plonge immédiatement dans une guerre civile qui oppose, pendant plus de quinze ans, la région du Sud réclamant une plus grande autonomie au Nord du pays où se trouve Khartoum le siège du pouvoir central. En 1983, la proclamation de la loi islamique (Charia) par le chef du gouvernement Jafar Nimeiry provoque des insurrections. Il faut rappeler qu’un tiers de la population soudanaise, principalement les habitants du Sud, n’est pas de confession musulmane. Les révoltes entraînent la chute du dictateur en 1985. Il s’ensuit toutefois une nouvelle guerre civile qui durera plus de vingt ans. Les affrontements entre le gouvernement et des groupes armés sudistes font jusqu’en 2005 plusieurs millions de morts. Parallèlement, le pays connaît dans les années 1980 une vague de sécheresse entraînant une famine meurtrière ainsi qu’une crise humanitaire de grande ampleur. En 1989, un coup d’état militaro-islamiste permet à Omar al-Bashir d’accéder au pouvoir. A la tête du Soudan depuis ce jour, cet ancien militaire a mis en place un régime politique autocratique à forte tendance islamiste.
- Des guerres fondées sur une opposition Nord/Sud aux multiples facettes : Souvent présentées comme un conflit religieux opposant le Nord islamique au Sud animiste et chrétien, la réalité nécessite de prendre en compte d’autres aspects sociaux et économiques qui divisent le pays : la présence d’une culture tribale au Sud distincte de la coutume arabo-musulmane du Nord, l’importance de l’agriculture au Nord face à un Sud porté sur l’élevage... De plus, dès la fin des années 1970, les tensions Nord/Sud ont aussi été nourries par la découverte des champs de pétrole dans le Sud du pays. Cette distinction géographique mérite aussi d’être replacée historiquement. Le Sud a pendant longtemps été une zone d’exploitation pour la traite d’esclaves notamment lorsque la région était dominée par l’Egypte au début du XIXe siècle. Par la suite, les politiques coloniales des Britanniques ont elles aussi contribué à accentuer la spécificité du Sud en limitant son développement socio-économique.
- Une indépendance du Soudan du Sud qui n’a pas suffi à mettre fin au conflit : Suite à la guerre civile, un accord de paix a été établi en 2005 prévoyant une période de six ans d’autonomie pour le Sud, suivie d’un référendum d’autodétermination. En 2011, le oui est voté à 98,8 % et le Soudan du Sud devient dès lors un pays indépendant. Cependant, le conflit inter-soudanais ne cesse pas et ce, entre autres à cause des réserves pétrolières du Sud. Depuis 2011, les affrontements ont repris entre les deux pays. Par ailleurs, en 2013, le Soudan du Sud plonge dans une guerre civile interne à cause de rivalités inter-ethniques opposant notamment le président et le vice-président du jeune gouvernement sud-soudanais. Des atrocités sont commises de part et d’autre comme le viol de milliers de femmes par des groupes armés. Face à une situation humanitaire dramatique, le gouvernement sud-soudanais a déclaré l’état de famine en janvier 2017. La présence de réserves pétrolières au Soudan du Sud laissait pourtant présager un avenir favorable pour le jeune pays. Cependant, l’absence de structure étatique, l’instabilité politique et les ravages de la guerre font jusqu’à aujourd’hui obstacle au développement tandis que les conditions de vie de la population sont devenues particulièrement préoccupantes.
- Le conflit du Darfour : Un autre conflit, plus médiatisé que la guerre entre le Nord et le Sud a récemment dévasté la région. En 2003, au Darfour, province de l’Ouest du Soudan, des groupes rebelles s’insurgent contre le gouvernement central de Khartoum qu’ils accusent d’avoir abandonné leur région alors touchée par d’importantes vagues de sécheresse. Pour réprimer l’insurrection, le gouvernement s’allie à la tribu arabe des Janjawids qui pratiquent une répression d’une violence extrême envers les ethnies « noires-africaines » non arabophones. Cependant, contrairement au conflit Nord/Sud, la guerre civile du Darfour n’a pas de dimension religieuse. Les facteurs du conflit sont multiples et complexes mêlant rivalités ethniques à des aspects socio-économiques propres à la région. Dès 2005, le conflit s’étend au Tchad et dans une moindre mesure à l’Erythrée et à la Lybie, la dimension régionale de la guerre rend la résolution du conflit épineux. Malgré l’adoption d’un cessez-le-feu en 2015, le conflit persiste et aucun accord de paix n’a pour l’instant été signé.
LES CAUSES DU DÉPART
- Les guerres, à l’origine d’une migration difficilement quantifiable : L’estimation du nombre de réfugiés et de personnes déplacées lors de ce conflit est difficile étant donné la mobilité de la population et l’impossibilité pour l’ONU d’établir des chiffres exacts. Néanmoins, on considère généralement que la guerre civile de 1983-2005 a fait plus de 2 millions de morts et plus de 4 millions de Sud-Soudanais se sont rendus soit au Nord, soit dans des pays voisins (Ethiopie, Kenya, Ouganda et Egypte).
- Des Soudanais du Darfour persécutés : Les Soudanais qui immigrent vers l’Europe sont pour la plupart originaires de la région du Darfour où ils sont persécutés pour leur appartenance ethnique ou leur soutien, réel ou imputé, à la rébellion. De plus, ils s’exposent à de violentes persécutions dans le cas d’un retour. Face aux soulèvements populaires du Darfour, la réponse de Khartoum prend la forme d’une répression massive. Le gouvernement et les groupes rebelles commettent des massacres et de multiples exactions (villages rasés, viols, pillages etc.). En 2004, la situation humanitaire est très alarmante et l’ONU en vient à dénoncer un nettoyage ethnique. Le chef d’état soudanais, Omar al-Bashir, est depuis accusé par la Cour pénale internationale de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. L’ONU estime à 300 000 le nombre de victimes et 3 millions celui de déplacés. La guerre du Darfour peut être analysée comme un symptôme d’une longue crise soudanaise datant de la période coloniale.
- La question de la nationalité, ou la fabrique d’apatrides au Soudan : En effet, suite à l’indépendance de 2011, le Soudan et le Soudan du sud ont tous deux adopté des critères ethniques pour définir les conditions du droit à la nationalité. Le Soudan a déchu de leur nationalité des centaines de milliers de Sud-soudanais présents sur son territoire. Devenus du jour au lendemain apatrides et illégaux sur le territoire, ils subissent les persécutions du gouvernement soudanais. Leur rapatriement vers le Soudan du Sud est une entreprise compliquée et couteuse pour le Soudan du Sud en pleine crise humanitaire et déchiré par la guerre civile.
- La situation économique : Depuis l’indépendance du Soudan du Sud, le niveau de vie a baissé dans la région à cause du conflit, de l’arrêt de l’exploitation de mines pétrolières auxquels il faut ajouter les impacts économiques négatifs causés par la chute du prix du pétrole. Cette situation de profonde crise économique est en partie responsable d’une augmentation de la pauvreté qui constitue un des facteurs de départ.
- Un régime oppressif et liberticide : Outre les affrontements armés, les gouvernements du Soudan et du Soudan du Sud sont des régimes autoritaires caractérisés par une absence de liberté individuelle, un contrôle des médias, une intolérance religieuse, une répression violente et un enrôlement forcé dans les forces armées. Le gouvernement Sud-soudanais ainsi que les factions rebelles sont aussi accusés d’utiliser des dizaines de milliers d’enfants-soldats.
LA SITUATION DES MIGRANTS SOUDANAIS EN EUROPE
Le Soudan a été pendant longtemps un des pays du monde accueillant le plus de migrants dont notamment des centaines de milliers de réfugiés érythréens fuyant la dictature à la fin des années 1970. Bien que ses crises politiques n’en font pas une destination propice à l’accueil, le Soudan reste un pays de transit pour des milliers d’habitants de la Corne de l’Afrique qui compte 500 000 réfugiés venant d’Érythrée, d’Ethiopie, de Somalie et du Sud-Soudan auxquels il faut ajouter les 3 millions de Soudanais déplacés de forces à l’intérieur du pays dont 2,5 millions du Darfour.
- Comment l’Europe collabore avec le Soudan pour empêcher l’arrivée de migrants sur son territoire : Selon la direction des étrangers du ministère de l’intérieur, il y aurait actuellement en France près de 14 500 soudanais qui auraient obtenu un titre de séjour. Cependant, en 2014, l’Union Européenne a signé les accords de Khartoum, suivi en 2015 du sommet de La Valette proposant à des pays africains comme le Soudan d’empêcher les migrations vers l’Europe en échange d’allocations d’aide au développement. Un soutien financier est donc offert par les pays européens pour un meilleur contrôle des frontières du Soudan. Toutefois, des militants des droits de l’homme dénoncent cette collaboration avec des régimes dictatoriaux qui selon eux seraient directement impliqués dans des circuits de trafic humain. De plus, les réfugiés retenus dans des camps au Soudan vivent dans des conditions de précarité extrême et les non-musulmans sont souvent les victimes d’une discrimination aigue.
- La France aurait fait appel au régime soudanais pour l’identification d’exilés en situation irrégulière sur son territoire : Entre 2014 et 2016, en France, 200 personnes auraient été expulsées au Soudan suite à des interrogations menées par une délégation soudanaise tandis qu’ils affirmaient être opprimés par le gouvernement de Khartoum. Le même procédé a récemment été dévoilé en Belgique, mettant alors en lumière le cas français. En travaillant avec des fonctionnaires de Khartoum, les gouvernements européens se permettent de renvoyer des opposants politiques soudanais et de les exposer ainsi à de violentes sanctions de la part du régime d’Omar al-Baschir, par ailleurs toujours sous mandat d’arrêt de la Cour Pénal internationale pour crimes de guerre.