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L'Éthiopie : quand la répression politique et les mariages forcés poussent à l’exil

L’Éthiopie est l’état le plus peuplé de la Corne de l’Afrique, avec un peu plus de dix millions d’habitants. Il est aussi un des pays les plus pauvres de la planète. Avec un Indice de Développement Humain d’à peine 0,463, l’Éthiopie figure au 182ème rang sur 187 pays représentés en 2017. Il s’agit d’un pays en grande difficulté économique, cette crise est principalement causée par des facteurs politiques (problématiques religieuses et régionales) et environnementaux. Le gouvernement éthiopien a violé à de nombreuses reprises les droits fondamentaux, notamment quant au traitement des opposants politiques et des minorités religieuses. A ces troubles politiques s’ajoutent des crises économiques récurrentes et des déplacements de population causés par le changement climatique.

La nomination d’un nouveau chef du gouvernement Abiy Ahmed, par l’assemblée au mois d’avril permettra peut-être l’ouverture d’une nouvelle voie.

 

HISTOIRE DE L’ÉTHIOPIE

 

Jamais colonisée, l’Éthiopie fait figure d’exception parmi les pays de la corne de l’Afrique. Sa situation géographique en fait très tôt le centre des échanges culturels et économiques entre l’espace méditerranéen, la mer Rouge et le continent africain. Vers 330, le royaume choisit le christianisme comme religion officielle. La population chrétienne représente encore une majorité de la population, 60% contre 34% de musulmans. La présence de l’islam sur ce territoire remonte aux premiers temps de l’hégire. Cette division religieuse du pays demeure et a été la cause de violence gouvernementale, vis-à-vis de la minorité musulmane.

 

 Les rapports complexes avec les puissances européennes : La période du XIXème et du début du XXème siècle dans l’histoire éthiopienne est marquée par l’ambiguïté des rapports avec les puissances européennes, en particulier suite à l’ouverture du Canal de Suez. Les rapports avec l’Italie sont particulièrement complexes et se cristallisent à travers plusieurs conflits. La première constitution du pays est proclamée en 1931. Les relations avec l’Italie, alors fasciste, s’aggravent jusqu’à provoquer une seconde guerre italo-éthiopienne en 1935. Cette guerre se solde par une défaite éthiopienne, cela entraine une occupation partielle du pays par l’Italie mussolinienne. Le pays est libéré en 1941. Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, le pays enclenche une dynamique de reconstruction. Dans le contexte naissant de la Guerre Froide, les mouvements de contestation du pouvoir en place sont largement soutenus par le bloc de l’Est.

 

 Le tournant communiste : Ces mouvements de contestation conduisent à la chute de l’empire en 1974 avec la déposition et l’arrestation du dernier empereur, Haile Sellasie. Un comité militaire, appelé le Derg, prend le pouvoir et applique une politique d’inspiration soviétique voire maoïste. Les étudiants sont notamment envoyés dans les provinces dans le cadre de campagnes d’alphabétisation pour diffuser l’idéologie communiste. Les années 1976 à 1978 sont marquées par de très grandes violences politiques, dans le contexte d’affrontement entre le parti central et le parti d’opposition. Des collégiens et lycéens sont massacrés après la participation à des manifestations contre le régime. Ce sont les années de « Terreur rouge ».

 

 La transition démocratique face aux défis économiques et migratoires : Le régime du Derg perdure jusqu’en 1991. De 1991 à 1995, le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF), est chargé de mener le pas vers une transition démocratique. Après l’indépendance de l’Érythrée en 1993, la République fédérale démocratique d’Éthiopie est proclamée en 1995. La transition demeure relativement paisible, en revanche la situation régionale et frontalière n’est pas encore apaisée, cela se traduit par l’invasion de l’Éthiopie par l’Érythrée en 1998. Malgré la victoire de l’Éthiopie au terme d’un conflit de deux ans, les rapports entre les deux pays demeurent conflictuels. L’instauration du régime de l’EPRDF (Ethiopian People’s Revolutionary Democratic Front) a provoqué une accélérions des migrations intra-nationales en Éthiopie. Depuis 2005, le FDRPE demeure le parti au pouvoir. Les élections générales de 2010, avec un taux de participation de presque 90% ont confirmé le poids du parti au sommet de l’état avec 100% des sièges au Parlement. Les résultats ont été largement contestés et ont donné lieux à de violentes manifestations dans la capitale.

 

 Les mouvements de contestations, cristallisation des tensions socio-économiques : Depuis 2015, le contexte économique, social et politique a provoqué de larges mouvements sociaux et à des mobilisations. Ces manifestations ont été très violemment réprimés par les autorités. Cela concerne tout particulièrement les contestations venant de la communauté oromo contre des décisions d’extensions territoriales de la capitale. C’est le projet de Master Plan qui cristallise les tensions. Il s’agit d’un grand projet de développement pour agrandir le tertiaire de la capitale. Cette extension territoriale présentée en 2014 reviendrait à rogner sur le territoire de la région d’Oromia - une des principales régions des neuf régions constitutionnelles. Cela permettrait de multiplier par vingt la superficie de la ville. La continuité territoriale de la région oromo est donc mise en danger par ce Master Plan puisque cela la diviserait en deux. Ce projet a déclenché manifestations étudiantes réprimées dans le sang par le gouvernement. Acte qui a enflammé le pays et poussé le gouvernement a déclaré l’état d’urgence le 9 octobre 2015. Le 12 janvier 2016, les autorités gouvernementales annoncent le retrait du Master Plan mais cela ne suffit pas à calmer le mouvement.

 

Cette situation semble peut-être s’apaiser avec la nomination d’un nouveau chef du gouvernement en avril 2018,  Abiy Ahmed, suite à la démission d'Hailemariam Desalegn en février 2018, en conséquence des manifestations anti-gouvernementales. Dès ses premières semaines d’exercice, il a déclaré l’amnistie des dissidents politiques, mis fin à l’état d’urgence et proclamé la paix avec l’Érythrée (suite à sa rencontre historique avec le président érythréen, Issayas Afewerki le 8 juillet 2018). Le nouveau Premier Ministre nomme également pour la première fois un gouvernement paritaire, de plus,   une femme, Sahle-Work Zewede, est désignée présidente du pays le 18 octobre 2018. Mais les défis à relever sont encore nombreux.

 

LES CAUSES DU DÉPART

 

L’Éthiopie est une terre de départ pour les éthiopiens mais aussi pour les réfugiés, notamment soudanais (200 000 y aurait trouvé refuge depuis 2013) et érythréens. Si l’Éthiopie est un des pays de départ de l’immigration vers l’Europe, c’est avant un pays d’accueil à l’échelle régionale. Après le Kenya, l’Éthiopie est le deuxième pays d’accueil de réfugiés politiques, économiques et climatiques sur le continent africain. On compte plus de 38 000 réfugiés érythréens dans des camps répartis sur l’ensemble du territoire.

 

La pauvreté : La pauvreté est liée notamment à des crises de famines à répétition depuis les années 1970. Environ 7, 88 millions de personnes ont besoin d’aide alimentaire en urgence, 3,85 millions d’enfants et de femmes enceintes souffrent de malnutrition aiguë et 1,74 million de personnes déplacées contraintes par la sécheresse et les conflits. Malgré ces chiffres, le pays vit une croissance économique extrêmement rapide, depuis 2004, avec 10,5% de croissance annuelle moyenne, ce qui attire de nombreux investisseurs asiatiques mais aggrave les inégalités sociales et économiques. 71% de la population éthiopienne a moins de 30 ans. Le taux de chômage de la jeunesse urbaine s’élève près de 50%. Les jeunes diplômés sont particulièrement touchés par le chômage, beaucoup doivent retourner travailler dans l’exploitation familiale après plusieurs années d’études.

 

 Le cas des Oromos : La mise en œuvre de ce Masterplan a conduit à des expropriations forcées des populations oromos, sans dédommagement réel et sans recours juridictionnel possible. L’annonce de ce projet a été l’élément déclencheur des contestations sociales, d’abord estudiantines puis généralisées. La répression très sévère des premières manifestations en 2014 a provoqué un sursaut d’une partie plus large de la population. Certaines manifestations pacifiques ont été réprimées par des tirs à balles réelles y compris dans des universités. Le recours l’état d’urgence (en octobre 2015) par le gouvernement a permis au celui-ci d’accroitre encore les violations des droits fondamentaux dans le traitement des victimes de la répression. A cela s’ajoute l’application des dispositions de la législation anti-terroriste aux opposants du gouvernement. Ce projet de développement urbain a servi et sert encore (malgré l’abandon du Masterplan en 2016) d’élément de cristallisation des contestations de la communauté oromo et de la jeunesse éthiopiennes. La dynamique sanglante manifestions/répressions se perpétue de manière irrégulière mais récurrente en Éthiopie, poussant de nombreux oromos à fuir leur pays. Plus d’un millier de personnes ont été tuées dans la région de l’Oromo dans des mouvements de contestation depuis 2015.

 

Le « mariage forcé », un instrument coercitif symbole des violences faites aux femmes et aux filles : En 2011, on estimait que 58% des femmes dans la tranche d’âge 20-49 ans avaient été mariées avant leurs 18 ans. Car le mariage des mineurs est un fléau. Bien qu’en baisse, en partie grâce aux campagnes de sensibilisation des ONG locales, de fortes résistances régionales perdurent. Dans les zones urbaines, la moyenne d’âge du mariage dépasse désormais l’âge légal (18 ans) mais en région Amhara, elle est estimé à 15,1 ans. Dans un rapport de 2017 l’ofpra parle du « mariage précoce et de l’excision, comme des deux formes de pratiques traditionnelles néfastes pour la santé des femmes les plus répandues en Éthiopie ».

Deux formes de mariages forcés existent : Le mariage arrangé est particulièrement rependu. Il y a également le mariage par enlèvement, qui bien qu’en net recul, atteignait encore 7,8 % des mariages à l’échelle nationale en 2005 selon l’ Ethiopian Demographic Health Survey. Cette pratique consiste à ce que le prétendant d’une jeune fille qui n’a pas reçu l’accord de la famille ou de la jeune fille elle même, vienne avec ses amis l’enlever. Souvent violée, la dote de la jeune fille baisse et les parents concèdent souvent au violeur l’autorisation d’épouser leur fille.

 

La discrimination envers les falshas, les juifs d’Éthiopie : Il existe aussi des flux de migrations éthiopiens vers Israël. Après une période de restrictions, le gouvernement israélien autorise de nouveau l’immigration aux Juifs éthiopiens. Majoritairement localisé au nord du pays, les falashas. Considérés comme portant le « mauvais œil », porteur de maladie et de mort. C’est pour cette raison qu’un certain nombre d’entre eux sont tués.

"Les cas d’assassinats ou de dommages à la propriété des membres de la communauté restent encore monnaie courante. Ils sont privés de nombreux droits fondamentaux, tels que la propriété du cimetière", expliquait Irène Orleansky en 2016. Pour toutes ces raisons, de nombreux juifs éthiopiens font leur Alya (immigration en terre d’Israël).

 

LA SITUATION DES EXILÉS

 

Le dangereux parcours vers l’Europe : L’Europe n’est pas la première destination des migrants éthiopiens. Ils s’orientent principalement vers les pays du Golfe. Beaucoup traversent la Mer Rouge pour accéder au Yémen, où ils sont aussi victime de la guerre civile. Beaucoup travaillaient dans des conditions proches de l’esclavage en Arabie Saoudite jusqu’à ce que les autorités saoudiennes prennent la décision de chasser les travailleurs illégaux de son territoire.

Les migrants payent parfois plus de 10 000 dollars leur passage vers l’Europe, c’est-à-dire la traversée de la Méditerranée. Ce passage vers l’Europe n’est permis que par des réseaux clandestins de passeurs. Nombreux sont les cas où les migrants sont soumis au travail forcé, voire sont vendus en esclavage et/ou tombent dans des réseaux de prostitution.

 

Migrants éthiopiens en Europe : Il est difficile de connaitre la réalité de la situation des migrants éthiopiens en Europe et tout particulièrement en France. Selon le dernier rapport annuel de l’Ofpra, sur les 342 demandes de protections internationales déposées par des éthiopiens, 217 ont été acceptées par l’Ofpra ou la CNDA. 2 700 franchissements illégaux de frontière par des migrants éthiopiens ont été dénombrés par l’UE en 2015, il semblerait que le nombre de migrants éthiopiens en situation irrégulière est en réalité beaucoup plus élevé. Il apparaît que certains migrants éthiopiens se déclareraient comme d’origines érythréennes pour obtenir le statut de réfugier politique. L’Éthiopie est un état clé dans la coopération avec l’UE dans le cadre de sa politique pour freiner les flux migratoires. Cependant, on note la mention de migrants éthiopiens dans le cadre d’une mission de recueil et d’orientation des demandes d’asile conduite par l’OFPRA auprès de demandeurs d’asile recensés à Paris (sur le campement du boulevard de la Chapelle) ainsi qu’à Calais. Les réfugiés éthiopiens présents sur le territoire français sont principalement de l’ethnie oromo.

 

 

Le gouvernement éthiopien a promis des réformes et la nomination d’un nouveau chef du gouvernement pourrait permettre d’entrevoir une éclaircie pour l’avenir de l’Éthiopie. Les contestations s’inscrivent dans la durée et réclament le partage équitable des ressources et le libre exercice des droits démocratiques inscrits dans la Constitution. La transition s’annonce difficile et beaucoup d’observateurs anticipent de nouveaux afflux de réfugiés éthiopiens en Europe

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