Le Sénégal : entre insécurité alimentaire et violations des Droits Humains

FocusPublié le 1 octobre 2018
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Habituellement présenté comme un modèle de démocratie en Afrique, le Sénégal, deuxième puissance économique de l’Afrique de l’Ouest francophone, a récemment fait l’objet de critiques dans un rapport d’Amnesty international. A quelques mois de l’élection présidentielle, l'association dépeint un pays où l’indépendance de la justice est insuffisante, où la liberté d’expression est fortement menacée et où de nombreux droits de l’Homme ne sont pas respectés.

Les indicateurs de développement humain du pays demeurent faiblement élevés, plus de la moitié de la population vivant avec moins de 3 dollars par jours. Pour ces raisons, beaucoup de Sénégalais font le choix de quitter leur pays, et bien souvent immigrent en France.

HISTOIRE DU SÉNÉGAL

  • L’implantation européenne, l’esclavage et la colonisation : La conquête coloniale du Sénégal débute par la découverte de ces terres au milieu du XVe siècle par le Portugal qui commence alors la traite d’esclaves sénégalais (concurrencés plus tard par les britanniques, les hollandais et les français). Ce n’est qu’en 1848 que l’esclavage sera définitivement aboli par la France. A cette époque, la colonisation française perturbe fortement la culture du pays et à la fin du XIXe siècle tout le territoire de l’actuel Sénégal est sous domination française.
  • Le Sénégal, instrument de la politique militaire de la France durant les deux guerres mondiales : Lors du déclenchement de la Première Guerre mondiale, les sénégalais rejoignent la conscription des tirailleurs : un corps de militaires constitué au sein de l'Empire colonial français. Au sein de l’Afrique Occidentale Française, c’est le Sénégal qui fournit l’effort de guerre le plus important, avec 1,7 % de la population, soit plus de 20 000 hommes. Sur les 63 000 sénégalais engagés en France durant la seconde guerre mondiale, 24 000 sont morts ou portés disparus au moment de l'Armistice.
  • Le chemin vers l’indépendance : L’Empire colonial français cède d’abord la place à l’Union française en 1946 qui confère au Sénégal un statut de territoire d'outre-mer. Suite à la montée de l’anticolonialisme dans de nombreux pays, la loi du 23 février 1956 modifie le statut de ces territoires. Le Sénégal conquiert alors une autonomie accrue et le suffrage universel masculin et féminin est instauré. Lors du référendum du 28 septembre 1958, 97,2 % des Sénégalais optent pour le statut d'État membre dans le cadre de la Communauté et le pays se dote d'une constitution proche du modèle français. En 1959, la république soudanaise (actuel Mali) et le Sénégal fusionnent pour former la fédération du Mali. Finalement, le 10 aout 1960, le Sénégal se retire de la fédération et proclame son indépendance.
  • D'Abdou Diouf à Macky Sall : En 1981, Léopold Sédar Senghor cède la place à son Premier ministre, Abdou Diouf. Celui-ci instaure immédiatement le multipartisme intégral, permet à une presse libre d’émerger progressivement, et entreprend de lutter (sans grand succès) contre la corruption. L’ère Diouf est marquée par de grandes difficultés économiques et politiques à partir de la fin des années 1980 (notamment le conflit dans la région de la Casamance). En 2000, Diouf reconnaît sa défaite face à Abdoulaye Wade. En 2001, le parti de Wade remporte les trois quarts des sièges à l’Assemblée nationale. Attentif au prestige international du Sénégal, Abdoulaye Wade se révèle être un chef d’État particulièrement autoritaire : il suscite de nombreuses critiques lorsqu’il nomme son fils, présenté comme un possible successeur, à la tête d’un «super-ministère», en 2009. Macky Sall lui succède en 2012 et demeure l'actuel président. Il est qualifié par l'Alliance nationale pour la démocratie (AND) de president le plus "impopulaire" que le Sénégal ait jamais connu, les dérives antidémocratique de son gouvernement ont récemment étaient dénoncées par Amnesty international. Il a été notamment extrêmement critiqué pour sa défense du franc CFA. Devise mise en place en 1945, héritée du système colonial, son taux de change est indexé à l'euro et les billets sont imprimés par la Banque de France. La question du franc cfa divise : certains y voient un gage de stabilité, d'autres dénoncent cette dépendance monétaire envers la France comme le maintien de pays africains dans un système colonial et comme frein au développement économique de ces pays.

LES CAUSES DU DÉPART

  • Les violences faites aux femmes : Les mutilation génitales sont très rependues : selon les chiffres de 2017, au niveau national, 13 % des filles de moins de 15 ans sont victimes de mutilations génitales ou excision (principalement dans la région de Matam). Le mariage forcé précoce est l'autre fléau qui touche  les femmes sénégalaises et qui peut pousser à leur exil. Selon Country Reports on Human Rights Practices, la loi interdisant le mariage des filles âgées de moins de 16 ans n’est pas appliquée dans la plupart des communautés où se pratique les mariages arrangés. En 2016, l'UNICEF estimait que 32% des femmes sont mariées avant 18 ans et 9% avant 15 ans. Les efforts du gouvernements semblent se heurter à l'ancrage des pratiques traditionnelles.
  • Un pays dangereux pour les personnes homosexuelles : L'homosexualité est le motif le plus fortement invoqué par les demandeurs d’asile car elle est pénalement réprimée au Sénégal (peine pouvant aller jusqu’à 5 ans de prison). L'actuel président a déclaré en 2016 : «  tant que je serai le Président de la République, l’homosexualité ne sera jamais permise ici ». La répression de l'homosexualité a donné lieux à un certain nombre d'arrestations :  en 2013, neuf jeunes homosexuels dont le président de l’association AIDes au Sénégal avaient été condamnés à huit ans d’emprisonnement pour « acte impudique et contre-nature et association de malfaiteur ».
  • La discrimination à l'égard des albinos : Outre la marginalisation de cette partie de la population, « durant la campagne présidentielle de 2012, de nombreuses rumeurs ont fait état d’enlèvements d’albinos pour des rites sacrificiels », explique un rapport de l'Ofpra. Encore aujourd'hui. Une croyance absurde pousse certains hommes à violer des femmes albinos pour se guérir du Sida.  Le problème est aussi sanitaire puisque le système de santé ne prend pas en charge leurs problèmes de santé (provoquant des cancers de la peau et des aveuglements).
  • L’insécurité alimentaire et la pénurie d’eau : En juin 2018, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a ajouté le Sénégal à la liste des 36 États nécessitant une aide alimentaire. Si la FAO relève les progrès que les autorités ont réalisé, notamment dans le secteur agricole ces dernières années, ceux-ci sont néanmoins insuffisants. Le Sénégal reste dépendant des forts aléas climatiques et rapporte qu’au dernier trimestre de l’année 2018, 5% des 15 millions de sénégalais pourraient se trouver en « insécurité alimentaire ». Le pays a en effet été touché par un manque d’eau qui a cassé toute la chaine de production alimentaire entrainant la mortalité du bétail et la destruction des zones de pâturages par des feux de brousse. Pour la FAO, plus de 300 000 personnes sont actuellement en situation d’insécurité alimentaire et ce chiffre pourrait très rapidement dépasser les 750 000 personnes.
    Au Sénégal, l’exploitation et la gestion du service public de l'eau potable en milieu urbain est assurée par la Sénégalaise Des Eaux (SDE) depuis 1996, un monopole dont la société civile souhaite la fin. En 2014, une étude publiée par l'ONG Transparency international intitulée La gouvernance de l'eau potable au Sénégal appelait le gouvernement sénégalais à plus de transparence, notamment dans un souci de santé publique en raison de la qualité de l'eau distribuée dans certaines zones du pays. Transparency international plaidait alors pour une baisse du prix de l’eau, rapportant notamment que pour 86,5% des dakarois, les tarifs alors en vigueur étaient beaucoup trop élevés.
  • La violation de nombreux droits de l’Homme dans un contexte politique fragile : En cette année 2018, le Sénégal a été touché par une grave crise politique, et ce à l’aube de l’élection présidentielle de février 2019. Le 31 aout dernier, le maire de Dakar, Khalifa Sall, a été révoqué de ses fonction par décret présidentiel, après avoir été condamné en appel à 5 ans de prison pour escroquerie sur les deniers publics. Seydi Gassama, directeur exécutif d'Amnesty Sénégal a expliqué que cette affaire « amène à s'interroger sur l'indépendance de la justice » au Sénégal. Dans son rapport de 2018, Amnesty International s'étonne du fait que les procédures pour faits présumés de corruption ou de détournement de deniers publics ne touchent que « des leaders de l'opposition ».
    Le Sénégal n’est pas non plus un modèle en matière de liberté d’expression. En effet, en 2018, des journalistes, des artistes, des utilisateurs des médias sociaux et d’autres personnes qui exprimaient des opinions dissidentes ont été arrêtés de manière arbitraire. C’est le cas de  la journaliste Oulèye Mané. Trois autres personnes ont été interpellées le 30 juin dernier pour « publication d’images contraires aux bonnes mœurs » et « association de malfaiteurs » après avoir partagé des photographies du président Maky Sall sur les réseaux sociaux. En août, le procureur de la République a indiqué que quiconque diffuserait sur Internet des commentaires ou des images à caractère « injurieux », de même que les administrateurs des sites hébergeant du contenu de ce type, serait passible de poursuites.
  • Le phénomène des enfants des rues : A l’instar de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, le Sénégal connait le phénomène alarmant des enfants des rues, aussi appelés «  talibés ». Les talibés sont ces garçons, généralement âgés de 5 à 15 ans, confiés par leurs parents à un maître coranique (ou marabout) afin que celui-ci se charge de son éducation religieuse. Cette éducation a lieu dans une école appelée « daara ». En contrepartie, le talibé doit s'acquitter des travaux domestiques, et est généralement contraint à mendier dans les rues afin de subvenir à ses besoins et aux besoins de son maître et de sa famille. Au Sénégal, la majorité des talibés vivent dans des conditions très précaires. Logés en surnombre dans des maisons délabrées, ils sont victimes de sévices corporels courants, et sont sévèrement battus par leur maitre s’ils ne ramènent pas la somme d’argent fixé par ce dernier. Depuis de nombreuses années, des associations  dénoncent cet état de fait, parlant d'« esclavage moderne ». En 2017, Human Rights Watch publiait rapport qui estimait à 50 000 talibés à travers le Sénégal.

UN PEUPLE EN MIGRATION

  • Un départ traditionnellement vers la France : Traditionnellement, les Sénégalais immigraient vers les anciennes colonies françaises d’Afrique et en France, pour des raisons tant géographiques, qu’historiques et linguistiques. Dans les années 1960-1970, l’émigration sénégalaise vers la France débute de manière épisodique. Comme l’explique le sociologue Seydou Kanté, il s’agit d’une émigration de « rotation »  entre membres d’une même famille, principalement employés dans l’Hexagone dans les usines et le secteur du bâtiment. Au milieu des années 1970, l’immigration sénégalaise en France devient plus régulière. Après les années 1980, le nombre de Sénégalais qui partent s’installer durablement à l’étranger augmente, toujours principalement en France. Pour ce qui est du cas spécifique des réfugiés, le rapport d'activité de l'Ofpra signale pour l'année 2017, que sur les 1091 demandes de protection internationale faites par des sénégalais en France, seulement 202 ont été acceptées par l'Ofpra ou la CNDA (Cour nationale du droit d'asile). En 2015, 300 000 sénégalais résidaient en France en situation régulière, constituant ainsi l’une des principales communautés Africaine en France.
  • Une nouvelle destination migratoire vers les États-Unis : L’émigration des Sénégalais vers les États-Unis commence au début des années 1980. Elle est le fait de commerçants sénégalais assez fortunés ayant acquis une expérience migratoire en Afrique ou en France. Ces commerçants vont aux États-Unis pour se procurer des produits nécessaires pour le ravitaillement des marchés de Dakar ou de certaines capitales africaines. Par la suite, et face aux opportunités qui s’offrent à eux ou aux difficultés rencontrées dans leurs premiers pays d’immigration, ces marchands et négociants commencent à s’installer sur le sol américain de manière durable. Du coté des étudiants, le choix de la destination a aussi changé ces dernières années. Si 66 % des étudiants sénégalais qui partent étudier à l’étranger se rendent encore aujourd’hui en France, ils se tournent également vers Canada, les États-Unis ou encore la Chine.
  • Le phénomène des «  repatriés » : Un article récent du Monde, rapportait les propos d’une jeune sénégalaise, qui après avoir étudié en France, décidait de revenir dans son pays par « devoir moral » estimant qu’ « il vaut mieux rentrer et développer notre pays en étant sur place, plutôt que d'envoyer de l’aide ». Ce phénomène de retour des immigrés a pris de l'ampleur au Sénégal mais reste encore difficilement quantifiable. Selon Papa Sakho, responsable du département de géographie à l'Université Anté Diop de Dakar,« au bout de dix ans, un quart des migrants revient au Sénégal ».