FOCUS : Le changement climatique, première cause de migration
"On parle parfois de changement climatique comme s'il ne concernait que la planète et non ceux qui l'habitent" déplorait Ban Ki-Moon en 2008 alors qu'il occupait la fonction de secrétaire général des Nations-Unis. En effet, ce phénomène impacte les hommes de différentes façons, l'une d'entre elles est la contrainte à l'exil. Aujourd'hui, on estime à environ 25 millions le nombre de déplacés climatique chaque année. Le changement climatique est désormais la première cause de migration avant les conflits et les guerres. Ce n'est pas une nouveauté mais comme l’explique l'expert climat de l'ONG CARE France, Marie Leroy, à France culture, "le risque pour les humains d'être contraints du fait du changement climatique est 60 fois plus grand aujourd'hui qu'il y a 40 ans". Les perspectives d'avenir sont aussi inquiétantes : selon le GIEC, à situation inchangée, la température augmentera de 4 degrés avant la fin du XXIe siècle, or, on sait désormais qu'une augmentation de seulement 2 degrés aura des conséquences catastrophiques.
LES CAUSES CLIMATIQUES DE L'EXIL
Les conséquences du réchauffement climatique qui poussent les hommes à fuir sont nombreuses et diverses :
Les catastrophes naturelles :La conséquence la plus flagrante du réchauffement climatique pour le grand public est en effet le risque accru de catastrophes naturelles (elles ont toujours existé mais les scientifiques prévoient désormais une fréquence accrue : dans l’avenir, jusqu’à 6 catastrophes pourraient se produire simultanément). C'est avec l'ouragan Katrina que l'on a découvert que les catastrophes engendraient des flux migratoires. Avant on pensait qu'il s’agissait de déplacements temporaires. Après Katrina : "un peut moins de 50% de la population de La Nouvelle-Orléans n’est jamais revenue dans la ville", signale un rapport de l'Observatoire des enjeux géopolitiques de la démographie. Cette carte illustre le nombre de déplacements causés par des catastrophes naturelles entre 2008 et 2013 :
La hausse de niveau des mers et des océans :20% de la population mondiale vit sur des zones côtières menacées par la montée du niveau des mers et des océans ainsi que par les inondations engendrées par le réchauffement climatique. Récemment, des scientifiques ont alerté sur le possible décrochage de deux glaciers. Si ce risque n’est pas endigué "ces deux glaciers qui sont le point faible de l’Antarctique de l’ouest pourraient entraîner dans leur retrait une grande partie de la calotte avec pour conséquence une élévation du niveau de la mer de l’ordre de 3 mètres", explique le glaciologue Gaël Durand dans une interview accordée à 20 minutes. Le scientifique confirme que la communauté scientifique soupçonne fortement que le réchauffement climatique soit la cause de ce décrochage. La montée des eaux, c’est l’un des fléaux qui touche le Bangladesh. Dans ce reportage du Monde, un homme d'un village côtier, explique qu'avec la montée des eaux, au moins 20% des habitants de son village ont "décidé" de s'en aller :
La raréfaction des ressources et la désertification :Le stress hydrique (quand la demande en eau dépasse les ressources disponibles) et la désertification affectent les rendements agricoles et causent de migrations."Le phénomène est particulièrement marqué en Afrique subsaharienne, qui connaît un exode rural important, et devrait s’amplifier dans les années à venir. C’est notamment le cas pour les populations pastoralistes en Somalie. D’ici 2030, les migrations en provenance de la bande sahélienne vers l’Europe et le Maghreb devraient s’amplifier", précise l'Observatoire des Enjeux Géopolitiques de la Démographie. En effet, fin 2017, le directeur régional du Conseil norvégien en charge des réfugiés (NRC) déclarait à propos de la sècheresse en Somalie : « Nous sommes préoccupés par le niveau inquiétant de la crise. En moyenne, on estime à 3500 environ, le nombre de personnes qui ont fui leurs maisons chaque jour au cours de cette année, à la recherche d’eau et de nourriture pour survivre ».
Les conflits et les guerres (des conséquences du changement climatique à relativiser) :Nombreux sont ceux qui analysent désormais le réchauffement climatique comme facteur d’instabilité politique et de conflits. Par exemple, un rapport du Programme des Nations Unies pour l'environnement met en évidence 18 conflits violents résultants des effets des changements climatiques entre 1990 et 2009. Cependant, les auteurs d'une tribune publiée dans le quotidien Reporterre en juillet 2017 relativisent la corrélation : "Surévaluer l’importance des facteurs environnementaux dans le déclenchement d’un conflit, c’est faire l’impasse sur la myriade d’autre facteurs historiques, politiques, sociaux et économiques concernés qui engagent directement la responsabilité des gouvernements. (...) Alors que les déclarations de Bachar El Assad tentent de dédouaner le régime syrien en présentant la sécheresse qui a frappé la Syrie comme une manifestation directe du changement climatique, celle-ci est d’abord le résultat de décennies de gestion calamiteuse des ressources hydriques et d’irrigation intensive. En outre, la suppression des subventions publiques en 2008-2009 dans le secteur agricole a encore davantage paupérisé les paysans, alors contraints à quitter leurs terres pour rejoindre les villes du pays, déjà saturées par l’arrivée massive de réfugiés irakiens."
Les conséquences du changement climatique sont multiples et peuvent difficilement être isolées les unes des autres, ainsi le manque de ressources en eau peut être facteur de conflits, et les catastrophes naturelles ont des conséquences économiques majeures...
CARACTÉRISTIQUES DES MIGRATIONS CLIMATIQUES
Un type de migration (principalement interne) qui va croître dans les prochaines décennies : Les perspectives d'avenir ne laissent guerre de doutes sur la croissance de ce phénomène. Même si nous réussissons collectivement à agir positivement sur la planète pour tenter d'endiguer le réchauffement climatique, ce type de migration risque tout de même d'augmenter. Mais le nombre de personnes contraintes à l'exil à cause des conséquences du changement climatique sera encore plus grand si la communauté internationale n'agit sur le climat. Un rapport de la Banque mondiale publié en 2018 est plutôt explicite lorsqu'il s'agit des zones les plus vulnérables : "D’ici 2050, si rien n’est fait, il y aura 143 millions de migrants climatiques internes dans ces trois régions : Afrique subsaharienne (86 millions), Asie du sud (40 millions) et Amérique Latine (17 millions)". Il est en effet important de préciser à cette étape de l'article que les migrations se font d’abord de manière interne aux pays et aux régions (souvent des zones rurales vers les villes mais à long terme cela peut provoquer une surpopulation dans les villes et donc un chômage de masse qui pousse à des migrations internationales).
Tous vulnérables : Considérer que le risque ne porte que sur des populations asiatiques, d’Afrique subsaharienne et d’Amérique latine est une erreur commune, nous sommes tous concernés mais à des degrés différents. À l'heure actuelle, l'est de l'Australie subit une sécheresse record qui décime les troupeaux et empêche les récoltes depuis plusieurs années. Dans un reportage publié dans le premier numéro de mars 2019 du magazine TIME, une fermière australienne explique qu'elle et son époux se sont donnés encore une année avant de partir, une année à attendre la pluie. Un autre exemple récent et bien plus proche nous montre bien que nous sommes tous vulnérables : En 2018, les inondations dans l'Aude (France) on fait 14 morts. Dans des propos rapportés par Marianne, Françoise Vimeux (de l'Institut de Recherche pour le Développement) explique que "dans le sud (de la France), la sécheresse qui va s'installer, et ses températures très élevées, vont amplifier l'apparition de crues éclairs meurtrières… (...) Le relief et la météorologie de ces territoires en font une zone propice aux évènements de pluie extrêmes. (...) Mais le réchauffement climatique va venir amplifier cette base, cette propension naturelle à récupérer des pluies.". Certaines personnes déménagent déjà des zones inondables et si par une action sur le climat et des infrastructures adaptées les gouvernements n'agissent pas, de nombreuses personnes risquent de devoir migrer ailleurs en France.
L’ATTITUDE DE L’EUROPE ET DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE
« réfugiés climatiques », « réfugiés environnementaux », des notions quasiment absentes du droit international : Le statut de "réfugié" est établi en 1951 par la Convention de Genève et ne comprend pas les migrations climatiques. Un réfugié est celui qui craint d'être persécuté s'il retourne dans son pays "du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques". On constate l’absence de mention du climat parmi les causes de persécutions. Cela s’explique en partie par le fait qu'il s'agit davantage de migrations internes et que pour certains, le terme de "persécution" est impropre pour parler du climat. Aujourd'hui en Europe, seule la Suède reconnaît le statut de réfugié environnemental (depuis 2005).
Prise de conscience tardive et manque d'actions de la communauté internationale :
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- 1985 : Première apparition du terme de « réfugiés environnemental » dans un rapport du programme des Nations unies pour l’environnement.
- 2009 : La COP15 en fait pour la première fois une question au niveau politique.
- Depuis 2009 : De nombreux pays africains ont ratifié la Convention de Kampala sur l’assistance des déplacés environnementaux à l’intérieur du continent africain.
- 2015 : L’accord de Paris crée un groupe de travail sur la question dont les conclusions ont été transposées dans l’accord de Katowice.
- 2018 : Le pacte migratoire de Marrakech mentionne (pour la première fois) le changement climatique parmi les causes de départs forcés. Pour autant ce pacte n’impose aucune contrainte aux états sur ce sujet.
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FOCUS : Le calvaire des personnes migrantes en Libye
Chaque année des dizaines de milliers de migrants venus d’Afrique subsaharienne et de Syrie traversent les frontières libyennes. Depuis la chute du régime de Kadhafi en 2011, le pays n’a pas retrouvé de stabilité et demeure le théâtre de violent conflit entre différentes forces armées. Les personnes migrantes, quant à elles, sont devenues les proies des milices locales. La plupart d’entre elles tentent d’échapper à la misère des camps et aux mauvais traitements en embarquant sur des bateaux de fortune vers l’Europe. Selon l’Organisation Internationale pour les Migrants (OIM), un organisme dépendant des Nations Unies, 690 351 migrants se trouvaient en Libye en avril 2018 auquel il faut ajouté 179 400 déplacés internes. La Libye est à l’heure actuelle le pays principal de destination ou de transit des personnes migrantes qui cherchent à atteindre l’Europe.
De l’indépendance à la chute de Kadhafi
Indépendante depuis 1951, la Libye contrairement à d’autres États africains ne s’est pas défait du pouvoir occidental par une guerre d’indépendance mais par une succession de traités et de résolutions internationales (c’est une résolution de l’ONU en 1949 qui permet à la Libye de se doter d’une constitution en 1951). Désormais indépendant, ce vaste pays du nord de l’Afrique est peuplé d’une multitude de tribus et manque alors d’unité nationale. L’ONU (qui a facilité la mise en place d’une monarchie constitutionnelle) et les puissances occidentales y maintiennent leurs bases militaires. Le royaume libyen, à l’époque l’un des pays les plus pauvres du monde, laisse les compagnies pétrolières étrangères exploiter une grande partie des ressources du pays. Progressivement, la découverte des gisements pétroliers augmente la richesse du pays mais aussi les tensions entre les tribus et envers le régime. En 1969, un groupe de militaires dont fait partie le jeune officier Mouammar Kadhafi renverse le gouvernement et prend le pouvoir.
Pendant quatre décennies, Kadhafi dirige la Libye d’une main de fer, son régime étant caractérisé par une répression brutale de ses opposants. Se présentant comme l’héritier de Nasser, il supporte une ligne politique anti-impérialiste et refuse pendant longtemps de traiter avec les puissances occidentales. Dès les années 1990, le régime libyen commence à sortir de son isolement diplomatique. Le pays ouvre progressivement ses marchés aux entreprises internationales et se rapproche peu à peu de l’Europe. Le pays devient au même moment une terre d’immigration, notamment des travailleurs venant d’Afrique subsaharienne, du Nigeria et du Sénégal. Dans les années 2000, le régime libyen commence à conclure des accords avec les puissances européennes pour limiter le départ des personnes migrantes depuis les côtes libyennes. En 2009, notamment, Berlusconi promit d’investir 5 milliards en Libye en vingt-cinq ans en échange d’un contrôle des navires de migrants en partance vers l’Italie.
Avec la chute du régime de Kadhafi en octobre 2011, la situation des migrants, déjà précaire à l’époque, s’est considérablement détériorée. En effet, depuis l’éclatement de l’État libyen, le pays plongé dans un chaos politique est le théâtre d’affrontements sanglants, ceux d’une lutte de différentes forces politiques, y compris islamistes.
Esclavage et violences sexuelles
Les violations des droits humains en Libye sont de notoriété publique. En 2012 déjà, Amnesty dénonçait des cas d’enlèvements, de tortures et d’exécutions. En l’absence de cadre juridique et humanitaire, les personnes migrantes pour la plupart en provenance de la corne de l’Afrique, d’Afrique de l’Ouest et de la Syrie, se retrouvent dans des camps où ils sont détenus dans des conditions inhumaines. De plus, ils subissent le risque d’être réduit à l’esclavage par des réseaux de trafiquants. En effet, le 11 avril 2017, l’OIM a publié un rapport dénonçant la vente de personnes migrantes pour travail forcé ou exploitation sexuelle. En novembre 2017, des journalistes de CNN ont filmé en caméra cachée la vente d’êtres humains en territoire libyen. Selon les informations rapportées, ce type de « marché aux esclaves » a apparemment lieu tous les 1 à 2 mois. Les personnes vendues comme esclaves sont ensuite utilisées comme mains d’œuvre dans les secteurs de la construction ou de l’agriculture. Par ailleurs, les migrants sont aussi les victimes de violences sexuelles. "Libye, anatomie d'un crime", un documentaire de Cécile Allegra sorti en octobre 2018 met à jour les violences sexuelles subies. Le viol est devenu une arme de guerre pour les milices libyennes.
La situation des migrants en Libye est telle que l’OIM a mis en place un programme de rapatriement vers les pays d’origine des migrants. Néanmoins, bien que l’OIM ait déjà permis à plus de 10 000 personnes de retourner dans leur pays d’origine, cette option n’est pas une solution pour ceux qui fuient les persécutions ou la guerre dans leur propre pays. Ainsi les conditions dramatiques et les mauvais traitements, sont tant de facteurs qui poussent des individus à s’enfuir sur des bateaux vers l’Europe, et ce, au péril de leur vie.
La Libye, nouveau garde-côte de l’Europe
Avec la chute du régime de Kadhafi lors du « printemps arabe » en 2011, l’Europe s’est vu privée du « barrage" libyen qui limitait le flux migratoire passant par la Méditerranée. Il faut rappeler que la cour européenne des droits de l’homme stipule que toute personne qui pose le pied sur les côtes européennes peut exercer son droit fondamental de demander l’asile. Dans le but de freiner l’arrivée des migrants sur son sol, l’Europe a depuis 2017 mis en place un programme de financement pour la Libye qui prévoit notamment le renforcement de ses frontières et le développement de sa police maritime.
Plutôt que d’investir dans des structures d’accueil, les politiques européennes préfèrent faire en sorte que les migrants en Méditerranée soient ramenés sur les côtes libyennes, un territoire où leurs droits ne seront pas respectés. C’est dans cette logique que les zones de contrôle maritimes ont été redéfinies en Méditerranée fin 2018.
Au-delà des eaux territoriales de chaque pays, la Méditerranée est découpée en zones SAR (Search and Rescue). Chacune de ces zones est attribuée à un pays du bassin méditerranéen alors responsable de répondre aux signaux de détresse et appels des navires humanitaires. L’Italie était jusqu’à récemment le pays en charge de la SAR qui se trouve au-delà des eaux territoriales libyennes larges de 19 kilomètres. Depuis l’été 2018, la nouvelle zone maritime sous contrôle des gardes-côtes libyens a été étendue à presque 200 km au-delà des côtes libyennes, reprenant ainsi la main aux italiens.
Cette redéfinition des zones maritimes a été rendue possible avec le soutien de l’Union européenne qui selon Mediapart, en 2017, a aidé la Libye à hauteur de 8 millions d’euros au développement de ses gardes-côtes. Le soutien financier de l’Europe et la nouvelle zone SAR attribuée à la Libye ont permis de faire baisser drastiquement le nombre de personnes migrantes entrées en Europe par la mer méditerranée.
Néanmoins, les gardes-côtes libyens, véritables contrôleurs de frontières pour l’Union européenne, ne répondent pas systématiquement aux appels de détresse et, ignorant les droits de l’homme, n’hésitent pas à emprisonner les rescapés. Le chercheur italien Matteo Villa estime qu’en septembre 2018 sur les 1072 migrants partis en mer depuis la Libye, 713 aurait été interceptés, 125 seraient arrivés en Europe et 234 auraient disparu, un taux record de mortalité de 21%.
Dans son rapport du 12 décembre 2018, Amnesty International accuse les gouvernements européens de soutenir « un système sophistiqué d’abus et d’exploitation des réfugiés et des migrants » et explique de le soutien financier apporté à la Libye rend l’Union européenne « complice de la torture et des abus endurés » par les personnes migrantes en Libye. Amnesty n’est pas le seul organisme à dénoncer l’attitude européenne puisque le 31 janvier 2019, c’est Oxfam et 53 autres ONG qui dénoncent la complicité européenne dans une lettre ouverte adressée au gouvernement.
L'Albanie : rongée par la précarité, la corruption et l'inefficacité du système judiciaire
Dans cet ancien pays satellite de l'URSS rares sont ceux qui restent. La principale raison des départs ? La pauvreté et le chômage qui, associés à un climat politique délétère, à la corruption et à l'insécurité ambiante, poussent les habitants à chercher un meilleur avenir dans d'autres pays d'Europe. Aujourd'hui, on estime à 2 millions le nombre d'Albanais à vivre en dehors des frontières, quand le pays compte 3 millions d'habitants. Si nombre d'émigrés se tournent vers l'Italie et la Grèce, une part importante d'entre eux rallie la France : en 2017, L'Albanie était le premier pays d'origine des demandeurs d'asile, avec 7630 demandes répertoriées dans l'Hexagone. Le nombre de demandeurs d'asile albanais en France aurait toutefois chuté de 34% en janvier 2018. Ce phénomène de migration albanaise n'en demeure pas moins surprenant dans la mesure où l'Albanie est répertoriée comme « pays sûr » par le conseil d’administration de l’OFPRA. Seulement, la dureté de la vie quotidienne vient bousculer ce classement.
HISTOIRE DE L'ALBANIE
La quête de l'indépendance et les guerres mondiales : Annexée par l'empire Ottoman depuis le XVIe siècle, c'est en 1908 qu'apparaissent les prémices d'un État indépendant. À ce moment, les Albanais, qui souhaitent devenir autonomes, soutiennent les Jeunes-Turcs, mouvement nationaliste révolutionnaire, mais leur requête n'aboutit pas. Il faut attendre 1912 pour voir Ismaël Kemal proclamer l'indépendance du pays. La naissance du nouvel Etat est perturbée par le déclenchement de la Première Guerre Mondiale. Après celle-ci, son territoire est réduit. En 1925 est instauré un régime répressif qui gagne en puissance grâce à la signature du pacte de Tirana avec Mussolini.
La dictature d'Enver Hoxha : Dès 1941, la résistance face à l'armée italienne réunit les groupes communistes du pays autour d'un homme : Enver Hoxha. Sa victoire face à la Wehrmacht, qui a envahi l'Albanie en 1944, lui confère le statut de héros national. Il prend la tête de la République populaire, créée à l'initiative du parti communiste, et nationalise l'industrie et le commerce. Les terres sont collectivisées, les opposants aux régimes éliminés. En 1949, le ralliement du pays à l'URSS lui permet de bénéficier d'une aide économique considérable. En 1961, Hoxha tourne le dos aux soviétiques, plongeant son pays dans une autarcie dont les habitants sont les premiers à souffrir. Les années 1970 voient les mesures anti-occidentales se multiplier. La police secrète fait régner la terreur sur le territoire. Il laisse sa place en 1982 à Ramiz Alia, qui tente de maintenir le pays à flot dans un contexte de fin de Guerre Froide.
Une démocratie fragile : Après la chute du Mur de Berlin, des manifestions étudiantes et des émeutes poussent Alia à créer un gouvernement de transition, dont le socialiste Fatos Nano prend la tête. Cette nouvelle donne permet la restauration d'une presse indépendante, du multipartisme et des lieux de culte. Dans les années qui suivent, malgré les réformes visant à moderniser le pays et stimuler l'économie, la crise persiste. Les dérives autoritaires du nouveau président, Sali Berisha, rendent instable le système politique albanais ce qui donne naissance à une insurrection en 1997 qui conduit à l'implosion du pouvoir en place. Il faudra l'intervention des forces internationales pour restaurer un régime pérenne en Albanie, même si la vie politique reste en proie aux oppositions des deux principaux partis (socialiste et démocrate). Les gouvernements se succèdent. L'instabilité qui en résulte nuit aux bonnes relations entre l'Albanie et l'Union Européenne, qui conditionne son intégration à la réussite de l'élection présidentielle. C'est à la fin des années 2000 que l'Albanie réussit à se faire une place sur la scène internationale. En 2009, elle rejoint officiellement l'OTAN et dépose dans la foulée sa demande d'adhésion à l'Union Européenne.
Depuis, les crises politiques se succèdent. Les élections législatives de 2009 donnent lieu à des émeutes et viennent étouffer la bipolarisation de la vie politique albanaise. Le gouvernement a enclenché un nouveau processus de modernisation du pays visant à favoriser son adhésion à l'UE.
LES CAUSES DE L'EXIL
L'un des États les plus pauvres d'Europe : Pays le moins développé de l'Europe, l'Albanie est également l'un des plus pauvres. A la fin de l'an 2000, le revenu annuel par habitant était estimé à 800$ par an. Si l'industrialisation du pays, entérinée sous l'ère communiste, a donné une impulsion économique à l’État, l'introduction de l'économie de marché, dans les années 1990, a conduit à un chômage massif. L'agriculture représente une part importante de l'activité des habitants. Un climat économique qui laisse peu de place aux nouvelles générations créatives et diplômées qui, en s'établissant ailleurs, cherchent aussi à améliorer le niveau de vie de leurs familles ; les transferts d'argent de la diaspora représentent aujourd'hui une part non négligeable de l'économie albanaise. La pauvreté, l'absence de travail et les conditions de vie difficiles poussent de nombreux Albanais à fuir. Entre 2011 et 2017, près de 330 000 Albanais ont quitté le pays, ce qui équivaut à 12% de la population. Dans le pays, le taux de chômage des jeunes frôle les 33%. En l'espace de 25 ans, la moyenne d'âge du pays est passée de 28 à 37 ans, alors que le taux de natalité est le plus élevé d'Europe.
La pratique de la vendetta : La vendetta (ou vengeance du sang) se base sur le «Kanun», le code de droit coutumier albanais établit au XVème siècle et réactualisé au XXème. Un rapport de l'OSAR (organisation suisse d'aide aux réfugiés) datant de 2016 explique qu'il s'agit traditionnellement "pour la «famille victime» de venger le sang versé suite à un meurtre et rétablir l’honneur de sa propre famille par l’assassinat d’un membre de la «famille auteure»". Sous Hoxha, cette pratique était devenue moins courante mais le déclin communiste dans les années 1990 a permis son retour. Même s'il semblerait que ces dernières années ces crimes soient moins nombreux, la loi du Talion s'applique encore en Albanie et va jusqu'à viser les enfants. L'association suisse précise qu'en 2014, des organisations non gouvernementales avaient estimé à 1500 le nombre d'hommes qui auraient été contraints de vivre en isolement dans toute l’Albanie en raison de vendettas cette année-là. Malgré l'intensification des efforts du gouvernement pour mettre fin à cette pratique, ceux-ci semblent insuffisants dans un pays où règne la corruption.
La corruption du système judiciaire : Par peur des représailles ou du fait de leur propre implication, les magistrats et la police restent bien silencieux face à la pratique de la vendetta comme face à de nombreux crimes. Dans le système judiciaire, les pots-de-vin sont souvent échangés contre des décisions judiciaires favorables. Bien que la Constitution prévoie un pouvoir judiciaire indépendant, dans la pratique, les tribunaux font l'objet de pressions et d'intimidations politiques. La corruption et l'impunité sont également des problèmes endémiques au sein des instances policières. L'Union Européenne a bien conscience de l’ampleur de la corruption, c'est pour cela que l'adhésion de l'Albanie à l'UE dépendra de deux critères : la preuve d'une progression dans lutte contre la criminalité et la corruption alliée à un meilleur fonctionnement de l'appareil judiciaire. Cette demande conduit à une répression dure, sans pour autant parvenir à endiguer le clientélisme.
La situation des albanaises, entre traditions et violences : L'étiquette de « pays sûr » ne comprend pas nécessairement les violences faites aux femmes. En mars 2010, la violence conjugale y était toujours considérée comme une affaire relevant de la sphère privée par la police et une femme sur trois était victime de violences de la part de son mari, de son compagnon ou d’autres membres de sa famille (selon Amnesty International). Les réponses du système judiciaires et les mesures de protection sont encore insuffisantes selon de nombreuses associations. Ce qui pèse sur de nombreuses femmes c'est le poids des traditions patriarcales dans lesquelles l'"honneur" fait loi : Un rapport de l'Ofpra datant de 2013 explique que "contraintes de cacher leur grossesse (hors mariage), nombre de jeunes femmes avortent, dans la plus grande discrétion, à l’hôpital ou de façon clandestine. La famille, dont la réputation est entachée, peut tenter d’arranger un mariage avec le père de l’enfant voire même avec un autre homme." Monika Kocaqi, directrice de l’association de défense des droits des femmes Refleksione précise que dans certaines régions rurales, pour une femme victime de viol : "le chef de famille peut décider de ne rien dire et marier de force la jeune femme à son violeur, ou à un autre homme qui l’acceptera, pour rétablir l’honneur". Ce type de cas est surtout vrai dans les zones rurales, dans les grandes villes le poids des traditions est moins fort, la liberté plus grande.
La question des minorités : L’Albanie est un pays composite où l'on trouve diverses minorités souvent défavorisées socialement et économiquement. C'est entre autres le cas pour les roms, comme le signale le rapport 2018 d'Amnesty International consacré à l'Albanie même si des mesures ont été prises : "la plupart des Roms ne disposaient pas d’un accès suffisant à l’eau potable et beaucoup restaient exposés à des expulsions forcées". La discrimination touche également les homosexuels, le même rapport signale "que deux ONG ont déposé une plainte auprès de la Cour européenne des droits de l’homme pour demander que le Code de la famille, qui prive les couples de même sexe des droits liés au concubinage, soit modifié" et qu'une "enquête menée en août a révélé des discriminations généralisées dans le domaine de l’emploi, tant dans le secteur public que dans le secteur privé".
L'ARRIVÉE EN EUROPE
L'Italie, première destination des émigrés Albanais : L'Italie a longtemps constitué la première destination des Albanais. Ils seraient 1 million à vivre dans ce pays. En 1991, le régime communiste et la crise économique avaient poussé 27 000 d'entre eux à fuir vers d'autres horizons. Une grosse partie des émigrés Albanais s'est également installée en Grèce à la même époque, mais la crise qui a frappé le pays en 2008 en a poussé beaucoup à rejoindre leur pays d'origine.
Le durcissement de la politique d'asile en France et en Allemagne : Dès 2015, l'Allemagne, qui est le troisième pays de destination des Albanais après la Grèce et l'Italie, durcit sa politique d'accueil des émigrés en prenant de nouvelles mesures, dont celle de déclarer comme « sûrs » trois Etats des Balkans : le Kosovo, l’Albanie et le Monténégro. 40% des demandeurs d'asiles viennent de ces pays, mais seul 1% parvient à obtenir le statut de réfugié. En faisant voter un ensemble de décisions à l'Assemblée générale des Nations unies, Angela Merkel souhaite pouvoir renvoyer plus rapidement chez eux les migrants déboutés issus de « pays sûrs » pour se consacrer à ceux qui arrivent de zones de conflit. Quand l'Allemagne a mis en place un processus de rapatriement, les Albanais se sont tournés vers la France. Celle-ci a aussi attribué le label « pays sûr » à l'Albanie : ce statut l'autorise à débouter les demandes d'asile des migrants qui en arrivent, mais elle est tenue de traiter tous les dossiers en tant que pays signataire de la Convention de Genève. Aujourd'hui, 75% des demandes d'asiles d'Albanais en Europe sont déposés en France. Entre 2016 et 2017, les chances d'obtenir le statut de réfugié sont passées pour eux de 18% à 10%. Face à ce phénomène, le ministère de l'Intérieur a mis en place plusieurs mesures pour dissuader les Albanais de venir chercher l'asile dans l'Hexagone, et établi un plan d'action en partenariat avec Tirana (capitale albanaise). Parmi ces mesures, le renforcement des contrôles au départ, une mise en avant des conditions des retours, la lutte contre l'émigration des mineurs isolés ou encore une répression plus importante vis-à-vis des réseaux d'immigration.
Le cas des « retours volontaires » : Dans le cadre de cet ensemble de mesures visant à réduire l'émigration albanaise en France, le gouvernement a fait la promotion de la politique de retour, dont ont bénéficié 1500 demandeurs d'asile Albanais en 2017. Pour nombre d'entre eux, venus trouver en France du travail ou un meilleur système de santé, ce retour a le goût amer de l'échec et d'un retour à la case départ, quand ils croyaient à une nouvelle vie ailleurs. La loi prévoit, pour les ressortissants des pays qui ne dépendent pas de l'Union Européenne et ne sont pas soumis aux visas, 300€ par personne, enfant compris, pour un retour volontaire. Les prochains pays concernés par cette politique de retour ? l'Arménie et le Kosovo.
L'Éthiopie : quand la répression politique et les mariages forcés poussent à l’exil
L’Éthiopie est l’état le plus peuplé de la Corne de l’Afrique, avec un peu plus de dix millions d’habitants. Il est aussi un des pays les plus pauvres de la planète. Avec un Indice de Développement Humain d’à peine 0,463, l’Éthiopie figure au 182ème rang sur 187 pays représentés en 2017. Il s’agit d’un pays en grande difficulté économique, cette crise est principalement causée par des facteurs politiques (problématiques religieuses et régionales) et environnementaux. Le gouvernement éthiopien a violé à de nombreuses reprises les droits fondamentaux, notamment quant au traitement des opposants politiques et des minorités religieuses. A ces troubles politiques s’ajoutent des crises économiques récurrentes et des déplacements de population causés par le changement climatique.
La nomination d’un nouveau chef du gouvernement Abiy Ahmed, par l’assemblée au mois d’avril permettra peut-être l’ouverture d’une nouvelle voie.
HISTOIRE DE L’ÉTHIOPIE
Jamais colonisée, l’Éthiopie fait figure d’exception parmi les pays de la corne de l’Afrique. Sa situation géographique en fait très tôt le centre des échanges culturels et économiques entre l’espace méditerranéen, la mer Rouge et le continent africain. Vers 330, le royaume choisit le christianisme comme religion officielle. La population chrétienne représente encore une majorité de la population, 60% contre 34% de musulmans. La présence de l’islam sur ce territoire remonte aux premiers temps de l’hégire. Cette division religieuse du pays demeure et a été la cause de violence gouvernementale, vis-à-vis de la minorité musulmane.
• Les rapports complexes avec les puissances européennes : La période du XIXème et du début du XXème siècle dans l’histoire éthiopienne est marquée par l’ambiguïté des rapports avec les puissances européennes, en particulier suite à l’ouverture du Canal de Suez. Les rapports avec l’Italie sont particulièrement complexes et se cristallisent à travers plusieurs conflits. La première constitution du pays est proclamée en 1931. Les relations avec l’Italie, alors fasciste, s’aggravent jusqu’à provoquer une seconde guerre italo-éthiopienne en 1935. Cette guerre se solde par une défaite éthiopienne, cela entraine une occupation partielle du pays par l’Italie mussolinienne. Le pays est libéré en 1941. Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, le pays enclenche une dynamique de reconstruction. Dans le contexte naissant de la Guerre Froide, les mouvements de contestation du pouvoir en place sont largement soutenus par le bloc de l’Est.
• Le tournant communiste : Ces mouvements de contestation conduisent à la chute de l’empire en 1974 avec la déposition et l’arrestation du dernier empereur, Haile Sellasie. Un comité militaire, appelé le Derg, prend le pouvoir et applique une politique d’inspiration soviétique voire maoïste. Les étudiants sont notamment envoyés dans les provinces dans le cadre de campagnes d’alphabétisation pour diffuser l’idéologie communiste. Les années 1976 à 1978 sont marquées par de très grandes violences politiques, dans le contexte d’affrontement entre le parti central et le parti d’opposition. Des collégiens et lycéens sont massacrés après la participation à des manifestations contre le régime. Ce sont les années de « Terreur rouge ».
• La transition démocratique face aux défis économiques et migratoires : Le régime du Derg perdure jusqu’en 1991. De 1991 à 1995, le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF), est chargé de mener le pas vers une transition démocratique. Après l’indépendance de l’Érythrée en 1993, la République fédérale démocratique d’Éthiopie est proclamée en 1995. La transition demeure relativement paisible, en revanche la situation régionale et frontalière n’est pas encore apaisée, cela se traduit par l’invasion de l’Éthiopie par l’Érythrée en 1998. Malgré la victoire de l’Éthiopie au terme d’un conflit de deux ans, les rapports entre les deux pays demeurent conflictuels. L’instauration du régime de l’EPRDF (Ethiopian People’s Revolutionary Democratic Front) a provoqué une accélérions des migrations intra-nationales en Éthiopie. Depuis 2005, le FDRPE demeure le parti au pouvoir. Les élections générales de 2010, avec un taux de participation de presque 90% ont confirmé le poids du parti au sommet de l’état avec 100% des sièges au Parlement. Les résultats ont été largement contestés et ont donné lieux à de violentes manifestations dans la capitale.
• Les mouvements de contestations, cristallisation des tensions socio-économiques : Depuis 2015, le contexte économique, social et politique a provoqué de larges mouvements sociaux et à des mobilisations. Ces manifestations ont été très violemment réprimés par les autorités. Cela concerne tout particulièrement les contestations venant de la communauté oromo contre des décisions d’extensions territoriales de la capitale. C’est le projet de Master Plan qui cristallise les tensions. Il s’agit d’un grand projet de développement pour agrandir le tertiaire de la capitale. Cette extension territoriale présentée en 2014 reviendrait à rogner sur le territoire de la région d’Oromia - une des principales régions des neuf régions constitutionnelles. Cela permettrait de multiplier par vingt la superficie de la ville. La continuité territoriale de la région oromo est donc mise en danger par ce Master Plan puisque cela la diviserait en deux. Ce projet a déclenché manifestations étudiantes réprimées dans le sang par le gouvernement. Acte qui a enflammé le pays et poussé le gouvernement a déclaré l’état d’urgence le 9 octobre 2015. Le 12 janvier 2016, les autorités gouvernementales annoncent le retrait du Master Plan mais cela ne suffit pas à calmer le mouvement.
Cette situation semble peut-être s’apaiser avec la nomination d’un nouveau chef du gouvernement en avril 2018, Abiy Ahmed, suite à la démission d'Hailemariam Desalegn en février 2018, en conséquence des manifestations anti-gouvernementales. Dès ses premières semaines d’exercice, il a déclaré l’amnistie des dissidents politiques, mis fin à l’état d’urgence et proclamé la paix avec l’Érythrée (suite à sa rencontre historique avec le président érythréen, Issayas Afewerki le 8 juillet 2018). Le nouveau Premier Ministre nomme également pour la première fois un gouvernement paritaire, de plus, une femme, Sahle-Work Zewede, est désignée présidente du pays le 18 octobre 2018. Mais les défis à relever sont encore nombreux.
LES CAUSES DU DÉPART
L’Éthiopie est une terre de départ pour les éthiopiens mais aussi pour les réfugiés, notamment soudanais (200 000 y aurait trouvé refuge depuis 2013) et érythréens. Si l’Éthiopie est un des pays de départ de l’immigration vers l’Europe, c’est avant un pays d’accueil à l’échelle régionale. Après le Kenya, l’Éthiopie est le deuxième pays d’accueil de réfugiés politiques, économiques et climatiques sur le continent africain. On compte plus de 38 000 réfugiés érythréens dans des camps répartis sur l’ensemble du territoire.
• La pauvreté : La pauvreté est liée notamment à des crises de famines à répétition depuis les années 1970. Environ 7, 88 millions de personnes ont besoin d’aide alimentaire en urgence, 3,85 millions d’enfants et de femmes enceintes souffrent de malnutrition aiguë et 1,74 million de personnes déplacées contraintes par la sécheresse et les conflits. Malgré ces chiffres, le pays vit une croissance économique extrêmement rapide, depuis 2004, avec 10,5% de croissance annuelle moyenne, ce qui attire de nombreux investisseurs asiatiques mais aggrave les inégalités sociales et économiques. 71% de la population éthiopienne a moins de 30 ans. Le taux de chômage de la jeunesse urbaine s’élève près de 50%. Les jeunes diplômés sont particulièrement touchés par le chômage, beaucoup doivent retourner travailler dans l’exploitation familiale après plusieurs années d’études.
• Le cas des Oromos : La mise en œuvre de ce Masterplan a conduit à des expropriations forcées des populations oromos, sans dédommagement réel et sans recours juridictionnel possible. L’annonce de ce projet a été l’élément déclencheur des contestations sociales, d’abord estudiantines puis généralisées. La répression très sévère des premières manifestations en 2014 a provoqué un sursaut d’une partie plus large de la population. Certaines manifestations pacifiques ont été réprimées par des tirs à balles réelles y compris dans des universités. Le recours l’état d’urgence (en octobre 2015) par le gouvernement a permis au celui-ci d’accroitre encore les violations des droits fondamentaux dans le traitement des victimes de la répression. A cela s’ajoute l’application des dispositions de la législation anti-terroriste aux opposants du gouvernement. Ce projet de développement urbain a servi et sert encore (malgré l’abandon du Masterplan en 2016) d’élément de cristallisation des contestations de la communauté oromo et de la jeunesse éthiopiennes. La dynamique sanglante manifestions/répressions se perpétue de manière irrégulière mais récurrente en Éthiopie, poussant de nombreux oromos à fuir leur pays. Plus d’un millier de personnes ont été tuées dans la région de l’Oromo dans des mouvements de contestation depuis 2015.
• Le « mariage forcé », un instrument coercitif symbole des violences faites aux femmes et aux filles : En 2011, on estimait que 58% des femmes dans la tranche d’âge 20-49 ans avaient été mariées avant leurs 18 ans. Car le mariage des mineurs est un fléau. Bien qu’en baisse, en partie grâce aux campagnes de sensibilisation des ONG locales, de fortes résistances régionales perdurent. Dans les zones urbaines, la moyenne d’âge du mariage dépasse désormais l’âge légal (18 ans) mais en région Amhara, elle est estimé à 15,1 ans. Dans un rapport de 2017 l’ofpra parle du « mariage précoce et de l’excision, comme des deux formes de pratiques traditionnelles néfastes pour la santé des femmes les plus répandues en Éthiopie ».
Deux formes de mariages forcés existent : Le mariage arrangé est particulièrement rependu. Il y a également le mariage par enlèvement, qui bien qu’en net recul, atteignait encore 7,8 % des mariages à l’échelle nationale en 2005 selon l’ Ethiopian Demographic Health Survey. Cette pratique consiste à ce que le prétendant d’une jeune fille qui n’a pas reçu l’accord de la famille ou de la jeune fille elle même, vienne avec ses amis l’enlever. Souvent violée, la dote de la jeune fille baisse et les parents concèdent souvent au violeur l’autorisation d’épouser leur fille.
• La discrimination envers les falshas, les juifs d’Éthiopie : Il existe aussi des flux de migrations éthiopiens vers Israël. Après une période de restrictions, le gouvernement israélien autorise de nouveau l’immigration aux Juifs éthiopiens. Majoritairement localisé au nord du pays, les falashas. Considérés comme portant le « mauvais œil », porteur de maladie et de mort. C’est pour cette raison qu’un certain nombre d’entre eux sont tués.
"Les cas d’assassinats ou de dommages à la propriété des membres de la communauté restent encore monnaie courante. Ils sont privés de nombreux droits fondamentaux, tels que la propriété du cimetière", expliquait Irène Orleansky en 2016. Pour toutes ces raisons, de nombreux juifs éthiopiens font leur Alya (immigration en terre d’Israël).
LA SITUATION DES EXILÉS
• Le dangereux parcours vers l’Europe : L’Europe n’est pas la première destination des migrants éthiopiens. Ils s’orientent principalement vers les pays du Golfe. Beaucoup traversent la Mer Rouge pour accéder au Yémen, où ils sont aussi victime de la guerre civile. Beaucoup travaillaient dans des conditions proches de l’esclavage en Arabie Saoudite jusqu’à ce que les autorités saoudiennes prennent la décision de chasser les travailleurs illégaux de son territoire.
Les migrants payent parfois plus de 10 000 dollars leur passage vers l’Europe, c’est-à-dire la traversée de la Méditerranée. Ce passage vers l’Europe n’est permis que par des réseaux clandestins de passeurs. Nombreux sont les cas où les migrants sont soumis au travail forcé, voire sont vendus en esclavage et/ou tombent dans des réseaux de prostitution.
• Migrants éthiopiens en Europe : Il est difficile de connaitre la réalité de la situation des migrants éthiopiens en Europe et tout particulièrement en France. Selon le dernier rapport annuel de l’Ofpra, sur les 342 demandes de protections internationales déposées par des éthiopiens, 217 ont été acceptées par l’Ofpra ou la CNDA. 2 700 franchissements illégaux de frontière par des migrants éthiopiens ont été dénombrés par l’UE en 2015, il semblerait que le nombre de migrants éthiopiens en situation irrégulière est en réalité beaucoup plus élevé. Il apparaît que certains migrants éthiopiens se déclareraient comme d’origines érythréennes pour obtenir le statut de réfugier politique. L’Éthiopie est un état clé dans la coopération avec l’UE dans le cadre de sa politique pour freiner les flux migratoires. Cependant, on note la mention de migrants éthiopiens dans le cadre d’une mission de recueil et d’orientation des demandes d’asile conduite par l’OFPRA auprès de demandeurs d’asile recensés à Paris (sur le campement du boulevard de la Chapelle) ainsi qu’à Calais. Les réfugiés éthiopiens présents sur le territoire français sont principalement de l’ethnie oromo.
Le gouvernement éthiopien a promis des réformes et la nomination d’un nouveau chef du gouvernement pourrait permettre d’entrevoir une éclaircie pour l’avenir de l’Éthiopie. Les contestations s’inscrivent dans la durée et réclament le partage équitable des ressources et le libre exercice des droits démocratiques inscrits dans la Constitution. La transition s’annonce difficile et beaucoup d’observateurs anticipent de nouveaux afflux de réfugiés éthiopiens en Europe
Le Sénégal : entre insécurité alimentaire et violations des Droits Humains
Habituellement présenté comme un modèle de démocratie en Afrique, le Sénégal, deuxième puissance économique de l’Afrique de l’Ouest francophone, a récemment fait l’objet de critiques dans un rapport d’Amnesty international. A quelques mois de l’élection présidentielle, l'association dépeint un pays où l’indépendance de la justice est insuffisante, où la liberté d’expression est fortement menacée et où de nombreux droits de l’Homme ne sont pas respectés.
Les indicateurs de développement humain du pays demeurent faiblement élevés, plus de la moitié de la population vivant avec moins de 3 dollars par jours. Pour ces raisons, beaucoup de Sénégalais font le choix de quitter leur pays, et bien souvent immigrent en France.
HISTOIRE DU SÉNÉGAL
• L’implantation européenne, l’esclavage et la colonisation :La conquête coloniale du Sénégal débute par la découverte de ces terres au milieu du XVe siècle par le Portugal qui commence alors la traite d’esclaves sénégalais (concurrencés plus tard par les britanniques, les hollandais et les français). Ce n’est qu’en 1848 que l’esclavage sera définitivement aboli par la France. A cette époque, la colonisation française perturbe fortement la culture du pays et à la fin du XIXe siècle tout le territoire de l’actuel Sénégal est sous domination française.
• Le Sénégal, instrument de la politique militaire de la France durant les deux guerres mondiales :Lors du déclenchement de la Première Guerre mondiale, les sénégalais rejoignent la conscription des tirailleurs : un corps de militaires constitué au sein de l'Empire colonial français. Au sein de l’Afrique Occidentale Française, c’est le Sénégal qui fournit l’effort de guerre le plus important, avec 1,7 % de la population, soit plus de 20 000 hommes. Sur les 63 000 sénégalais engagés en France durant la seconde guerre mondiale, 24 000 sont morts ou portés disparus au moment de l'Armistice.
• Le chemin vers l’indépendance :L’Empire colonial français cède d’abord la place à l’Union française en 1946 qui confère au Sénégal un statut de territoire d'outre-mer. Suite à la montée de l’anticolonialisme dans de nombreux pays, la loi du 23 février 1956 modifie le statut de ces territoires. Le Sénégal conquiert alors une autonomie accrue et le suffrage universel masculin et féminin est instauré. Lors du référendum du 28 septembre 1958, 97,2 % des Sénégalais optent pour le statut d'État membre dans le cadre de la Communauté et le pays se dote d'une constitution proche du modèle français. En 1959, la république soudanaise (actuel Mali) et le Sénégal fusionnent pour former la fédération du Mali. Finalement, le 10 aout 1960, le Sénégal se retire de la fédération et proclame son indépendance.
• D'Abdou Diouf à Macky Sall : En 1981, Léopold Sédar Senghor cède la place à son Premier ministre, Abdou Diouf. Celui-ci instaure immédiatement le multipartisme intégral, permet à une presse libre d’émerger progressivement, et entreprend de lutter (sans grand succès) contre la corruption. L’ère Diouf est marquée par de grandes difficultés économiques et politiques à partir de la fin des années 1980 (notamment le conflit dans la région de la Casamance). En 2000, Diouf reconnaît sa défaite face à Abdoulaye Wade. En 2001, le parti de Wade remporte les trois quarts des sièges à l’Assemblée nationale. Attentif au prestige international du Sénégal, Abdoulaye Wade se révèle être un chef d’État particulièrement autoritaire : il suscite de nombreuses critiques lorsqu’il nomme son fils, présenté comme un possible successeur, à la tête d’un «super-ministère», en 2009. Macky Sall lui succède en 2012 et demeure l'actuel président. Il est qualifié par l'Alliance nationale pour la démocratie (AND) de president le plus "impopulaire" que le Sénégal ait jamais connu, les dérives antidémocratique de son gouvernement ont récemment étaient dénoncées par Amnesty international. Il a été notamment extrêmement critiqué pour sa défense du franc CFA. Devise mise en place en 1945, héritée du système colonial, son taux de change est indexé à l'euro et les billets sont imprimés par la Banque de France. La question du franc cfa divise : certains y voient un gage de stabilité, d'autres dénoncent cette dépendance monétaire envers la France comme le maintien de pays africains dans un système colonial et comme frein au développement économique de ces pays.
LES CAUSES DU DÉPART
• Les violences faites aux femmes : Les mutilation génitales sont très rependues : selon les chiffres de 2017, au niveau national, 13 % des filles de moins de 15 ans sont victimes de mutilations génitales ou excision (principalement dans la région de Matam). Le mariage forcé précoce est l'autre fléau qui touche les femmes sénégalaises et qui peut pousser à leur exil. Selon Country Reports on Human Rights Practices, la loi interdisant le mariage des filles âgées de moins de 16 ans n’est pas appliquée dans la plupart des communautés où se pratique les mariages arrangés. En 2016, l'UNICEF estimait que 32% des femmes sont mariées avant 18 ans et 9% avant 15 ans. Les efforts du gouvernements semblent se heurter à l'ancrage des pratiques traditionnelles.
• Un pays dangereux pour les personnes homosexuelles : L'homosexualité est le motif le plus fortement invoqué par les demandeurs d’asile car elle est pénalement réprimée au Sénégal (peine pouvant aller jusqu’à 5 ans de prison). L'actuel président a déclaré en 2016 : « tant que je serai le Président de la République, l’homosexualité ne sera jamais permise ici ». La répression de l'homosexualité a donné lieux à un certain nombre d'arrestations : en 2013, neuf jeunes homosexuels dont le président de l’association AIDes au Sénégal avaient été condamnés à huit ans d’emprisonnement pour « acte impudique et contre-nature et association de malfaiteur ».
• La discrimination à l'égard des albinos : Outre la marginalisation de cette partie de la population, « durant la campagne présidentielle de 2012, de nombreuses rumeurs ont fait état d’enlèvements d’albinos pour des rites sacrificiels », explique un rapport de l'Ofpra. Encore aujourd'hui. Une croyance absurde pousse certains hommes à violer des femmes albinos pour se guérir du Sida. Le problème est aussi sanitaire puisque le système de santé ne prend pas en charge leurs problèmes de santé (provoquant des cancers de la peau et des aveuglements).
• L’insécurité alimentaire et la pénurie d’eau : En juin 2018, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a ajouté le Sénégal à la liste des 36 États nécessitant une aide alimentaire. Si la FAO relève les progrès que les autorités ont réalisé, notamment dans le secteur agricole ces dernières années, ceux-ci sont néanmoins insuffisants. Le Sénégal reste dépendant des forts aléas climatiques et rapporte qu’au dernier trimestre de l’année 2018, 5% des 15 millions de sénégalais pourraient se trouver en « insécurité alimentaire ». Le pays a en effet été touché par un manque d’eau qui a cassé toute la chaine de production alimentaire entrainant la mortalité du bétail et la destruction des zones de pâturages par des feux de brousse. Pour la FAO, plus de 300 000 personnes sont actuellement en situation d’insécurité alimentaire et ce chiffre pourrait très rapidement dépasser les 750 000 personnes.
Au Sénégal, l’exploitation et la gestion du service public de l'eau potable en milieu urbain est assurée par la Sénégalaise Des Eaux (SDE) depuis 1996, un monopole dont la société civile souhaite la fin. En 2014, une étude publiée par l'ONG Transparency international intitulée La gouvernance de l'eau potable au Sénégal appelait le gouvernement sénégalais à plus de transparence, notamment dans un souci de santé publique en raison de la qualité de l'eau distribuée dans certaines zones du pays. Transparency international plaidait alors pour une baisse du prix de l’eau, rapportant notamment que pour 86,5% des dakarois, les tarifs alors en vigueur étaient beaucoup trop élevés.
• La violation de nombreux droits de l’Homme dans un contexte politique fragile : En cette année 2018, le Sénégal a été touché par une grave crise politique, et ce à l’aube de l’élection présidentielle de février 2019. Le 31 aout dernier, le maire de Dakar, Khalifa Sall, a été révoqué de ses fonction par décret présidentiel, après avoir été condamné en appel à 5 ans de prison pour escroquerie sur les deniers publics. Seydi Gassama, directeur exécutif d'Amnesty Sénégal a expliqué que cette affaire « amène à s'interroger sur l'indépendance de la justice » au Sénégal. Dans son rapport de 2018, Amnesty International s'étonne du fait que les procédures pour faits présumés de corruption ou de détournement de deniers publics ne touchent que « des leaders de l'opposition ».
Le Sénégal n’est pas non plus un modèle en matière de liberté d’expression. En effet, en 2018, des journalistes, des artistes, des utilisateurs des médias sociaux et d’autres personnes qui exprimaient des opinions dissidentes ont été arrêtés de manière arbitraire. C’est le cas de la journaliste Oulèye Mané. Trois autres personnes ont été interpellées le 30 juin dernier pour « publication d’images contraires aux bonnes mœurs » et « association de malfaiteurs » après avoir partagé des photographies du président Maky Sall sur les réseaux sociaux. En août, le procureur de la République a indiqué que quiconque diffuserait sur Internet des commentaires ou des images à caractère « injurieux », de même que les administrateurs des sites hébergeant du contenu de ce type, serait passible de poursuites.
• Le phénomène des enfants des rues : A l’instar de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, le Sénégal connait le phénomène alarmant des enfants des rues, aussi appelés « talibés ». Les talibés sont ces garçons, généralement âgés de 5 à 15 ans, confiés par leurs parents à un maître coranique (ou marabout) afin que celui-ci se charge de son éducation religieuse. Cette éducation a lieu dans une école appelée « daara ». En contrepartie, le talibé doit s'acquitter des travaux domestiques, et est généralement contraint à mendier dans les rues afin de subvenir à ses besoins et aux besoins de son maître et de sa famille. Au Sénégal, la majorité des talibés vivent dans des conditions très précaires. Logés en surnombre dans des maisons délabrées, ils sont victimes de sévices corporels courants, et sont sévèrement battus par leur maitre s’ils ne ramènent pas la somme d’argent fixé par ce dernier. Depuis de nombreuses années, des associations dénoncent cet état de fait, parlant d'« esclavage moderne ». En 2017, Human Rights Watch publiait rapport qui estimait à 50 000 talibés à travers le Sénégal.
UN PEUPLE EN MIGRATION
• Un départ traditionnellement vers la France : Traditionnellement, les Sénégalais immigraient vers les anciennes colonies françaises d’Afrique et en France, pour des raisons tant géographiques, qu’historiques et linguistiques. Dans les années 1960-1970, l’émigration sénégalaise vers la France débute de manière épisodique. Comme l’explique le sociologue Seydou Kanté, il s’agit d’une émigration de « rotation » entre membres d’une même famille, principalement employés dans l’Hexagone dans les usines et le secteur du bâtiment. Au milieu des années 1970, l’immigration sénégalaise en France devient plus régulière. Après les années 1980, le nombre de Sénégalais qui partent s’installer durablement à l’étranger augmente, toujours principalement en France. Pour ce qui est du cas spécifique des réfugiés, le rapport d'activité de l'Ofpra signale pour l'année 2017, que sur les 1091 demandes de protection internationale faites par des sénégalais en France, seulement 202 ont été acceptées par l'Ofpra ou la CNDA (Cour nationale du droit d'asile). En 2015, 300 000 sénégalais résidaient en France en situation régulière, constituant ainsi l’une des principales communautés Africaine en France.
• Une nouvelle destination migratoire vers les États-Unis : L’émigration des Sénégalais vers les États-Unis commence au début des années 1980. Elle est le fait de commerçants sénégalais assez fortunés ayant acquis une expérience migratoire en Afrique ou en France. Ces commerçants vont aux États-Unis pour se procurer des produits nécessaires pour le ravitaillement des marchés de Dakar ou de certaines capitales africaines. Par la suite, et face aux opportunités qui s’offrent à eux ou aux difficultés rencontrées dans leurs premiers pays d’immigration, ces marchands et négociants commencent à s’installer sur le sol américain de manière durable. Du coté des étudiants, le choix de la destination a aussi changé ces dernières années. Si 66 % des étudiants sénégalais qui partent étudier à l’étranger se rendent encore aujourd’hui en France, ils se tournent également vers Canada, les États-Unis ou encore la Chine.
• Le phénomène des « repatriés » : Un article récent du Monde, rapportait les propos d’une jeune sénégalaise, qui après avoir étudié en France, décidait de revenir dans son pays par « devoir moral » estimant qu’ « il vaut mieux rentrer et développer notre pays en étant sur place, plutôt que d'envoyer de l’aide ». Ce phénomène de retour des immigrés a pris de l'ampleur au Sénégal mais reste encore difficilement quantifiable. Selon Papa Sakho, responsable du département de géographie à l'Université Anté Diop de Dakar,« au bout de dix ans, un quart des migrants revient au Sénégal ».
FOCUS : Les mineurs non accompagnés
par Hélène VIEL
Qui de plus fragile, de plus vulnérable qu’un enfant contraint de quitter sa famille et son pays. On les appelle les « mineurs non accompagnés » : envoyés par leurs parents pour rejoindre de la famille à l’étranger ou partis à l’aveugle dans l’espoir d’être mieux ici que là-bas, ils arrivent en France, destination choisie ou temporaire où ils se retrouvent seuls et sans représentants légaux, dans un pays dont ils ne connaissent ni la langue, ni la culture, et doivent alors subir les dures règles de l’immigration clandestine. La problématique des mineurs non-accompagnés a pris une ampleur croissante au cours des dernières années, dans un contexte global de crise migratoire qui touche l’Union européenne et la France. Aujourd’hui, leur prise en charge constitue un défi majeur pour les pouvoirs publics et notamment les départements.
Alors qu’ils n’étaient « que » 23 000 en Europe en 2014, le nombre de mineurs non accompagnés en 2016 était estimé à 90 000. En France, 25 000 mineurs non accompagnés étaient pris en charge par les conseils départementaux fin 2017, contre 18 000 en juin 2017 et 13 000 fin 2016.
QUI SONT LES MINEURS NON ACCOMPAGNÉS ?
• Une catégorie juridique à part : Pour l’État français, les mineurs non accompagnés sont définis comme des jeunes de moins de 18 ans qui n’ont pas la nationalité française et demeurent sans représentant légal sur le sol français. De leur minorité découle une incapacité juridique, et de l’absence de tuteur, une situation d’isolement et un besoin de protection. En effet, au titre de l’article 20-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant, « tout enfant qui est définitivement privé de son milieu familial (…) a droit à une protection et une aide spéciale de l’Etat ». Pendant longtemps, la France les appelait « mineurs isolés étrangers » avant de se conformer au vocabulaire adopté par la majorité des Etats membres de l’Union Européenne soit celui de « mineur non accompagné » (MNA). Ce changement d’appellation n’est pas anodin : il s’agit en effet de moins stigmatiser ce public en supprimant, dans les textes, leur caractérisation d’« étranger ».
• Des profils sociologiques variés : Les mineurs non accompagnés sont à 95% des jeunes hommes et 83% des MNA ont entre 15 et 17 ans. D’après un rapport sénatorial de 2017, « cette prépondérance des adolescents peut (…) s’expliquer par le fait que nombre d’entre eux sont missionnés par leur famille qui les juge plus aptes à un voyage difficile ». Concernant leurs origines, 70% des MNA présents sur le territoire français viennent d’Afrique et particulièrement d’Afrique de l’Ouest (44%), du Sahel (27%), et d’Afrique du Nord (14%). 20 % viennent d’Asie (Bangladesh, Afghanistan et Inde), et seulement 8% d’Europe.
POURQUOI CES MINEURS FUIENT ILS LEUR PAYS ?
Il est possible de distinguer plusieurs types de mineurs non accompagnés en fonction des raisons qui ont poussé ces jeunes à quitter leur pays. Il est notamment possible de rassembler ces « catégories » en deux groupes, selon que la décision de quitter leur pays d’origine soit prise ou non par le mineur. Le rapport sénatorial de 2017 estimait que « si la diversité des situations individuelles interdit toute généralisation, l’étude de l’origine, les modalités d’arrivée en France et le profil des MNA semble indiquer qu’un nombre important d’entre eux correspond davantage à la catégorie des mandatés qu’à celle des exilés ou des errants ».
• Le mineur non accompagné peut être tributaire d’une décision de quitter son pays prise par des adultes : Il peut ainsi s’agir d’un mineur « confié ». Ce dernier a été amené en France par un adulte et est tributaire d’arrangements entre adultes : il n’a pas décidé de quitter son pays d’origine et subit au contraire les décisions d’adultes, le plus souvent de ses parents. Le mineur dit « exploité », est quant à lui celui qui est poussé au départ pour être utilisé comme force de travail dans son pays de destination. Le mineur « missionnaire » ou « mandataire », est lui poussé au départ par sa famille afin de travailler, d’envoyer de l’argent, de poursuivre des études ou d’apprendre un métier dans un autre pays.
• Mais le mineur peut aussi être à l’origine de la décision de quitter son pays d’origine : Il peut tout d’abord s’agir du mineur « réfugié » ou « exilé », c’est-à-dire d’un jeune qui était en danger dans son pays, par exemple à cause d’une guerre ou de conflits ethniques et qui fuit ainsi des persécutions. Il peut aussi s’agir de mineurs non accompagnés dits « rejoignant », lequel a décidé de rejoindre ses parents hors de toute protection légale et qui est à l’initiative du départ de son pays. Enfin, le mineur peut être « conquérant » ou « fugueur ». Il s’agit alors d’un jeune qui a pour motivation d’avoir une meilleure vie que celle qui est la sienne dans son pays d’origine et qui décide pour cela de partir dans un nouveau pays.
COMMENT LES MINEURS NON ACCOMPAGNES SONT ILS PRIS EN CHARGE EN FRANCE ?
Les Etats qui ont ratifié la Convention internationale des droits de l’enfants (CIDE), doivent normalement porter assistance à ces mineurs. En effet, l’article 2 de cette convention dispose que « les Etats parties s’engagent à respecter les droits qui sont énoncés dans la présente Convention et à les garantir à tout enfant relevant de leur juridiction, sans distinction aucune ».
En France, les MNA peuvent ainsi bénéficier d’une protection par le service de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) qui relèvent de la compétence des territoires départementaux. En effet, le droit français ne doit poser aucune condition de nationalité pour bénéficier de cette protection, fondée sur les besoins des mineurs sans considération de leur statut d’étranger. Une fois reconnus MNA, ces jeunes doivent bénéficier du droit commun de la protection de l’enfance au même titre que les nationaux. La prise en charge de ces jeunes incombe aux départements qui sont chargés de la première évaluation de la minorité, de l’isolement et de la vulnérabilité des jeunes.
1- Établir la minorité
a) En théorie, une procédure rigoureuse d'évaluation et de mise à l'abri
• La mise à l’abri et l’évaluation de la minorité : Lorsqu’un jeune se présente comme étant un mineur non accompagné, s’enclenche une procédure de mise à l’abri et d’évaluation exercée au conseil départemental du lieu où le jeune a été repéré. Un premier entretien est réalisé avec le jeune afin de confirmer ou d’infirmer la nécessité d’une mesure de protection immédiate. S’il est décidé de la nécessité de le prendre en charge immédiatement, une procédure dite de « mise à l’abri » est enclenchée et le jeune est hébergé par le conseil départemental ou par une association habilitée pendant une durée maximale de cinq jours. Durant ce délai, un premier bilan socio-éducatif et médical doit être fait afin de déterminer les besoins spécifiques du jeune et vérifier que ce dernier est bien mineur et « isolé » ou « non accompagné » sur le territoire français. La protection et la prise en charge des MNA par les services de l’enfance sont conditionnées à l’établissement de leur minorité. C’est en pratique les départements qui assument l’essentiels des dépenses de cette longue procédure.
• Comment est établit la minorité en cas d'absence de documents d'état civil ? : La « circulaire Taubira » de 2013, était venue préciser le parcours spécifique d’accès à la protection d’enfance pour ces jeunes en instaurant notamment, un dispositif d’évaluation sociale de la minorité et de l’isolement du jeune. Cette pratique a par la suite été consacrée dans une loi sur la protection de l’enfance en date du 16 mars 2016. Cette loi légalise entre autres le recours aux examens radiologiques, aussi appelés « tests osseux » pour déterminer l’âge. Cette loi indique par ailleurs que « le doute profite à l’intéressé » et qu’il ne peut jamais être procédé à un examen du développement pubertaire comme cela se déroulait dans certains départements en compléments des examens osseux. Un décret du 24 juin 2016 est ensuite venu poser l’exigence d’une « approche pluridisciplinaire » et d’un entretient devant se dérouler « dans une langue comprise » par le jeune. Selon une trame d’évaluation présentée dans l’article 6 de l’arrêté interministériel du 17 novembre 2016, des entretiens sont conduits afin de recueillir les éléments qui seront intégrés dans un rapport de synthèse concluant ou non à la minorité et à l’isolement familial ou à la nécessité d’investigations complémentaires. Pour ceux qui sont déclarés mineurs, la prise en charge n’est que temporaire et a vocation à prendre fin une fois leur majorité atteinte, moment où leur situation se complexifie.
• Des migrants non reconnu comme mineurs par une procédure : Si, à l’issue de l’évaluation sociale, il existe des motifs justifiant de remettre en cause la minorité de l’intéressé, les investigations peuvent se poursuivre sur demande du président du conseil départemental. Lorsque la personne qui s’est présentée en tant que MNA n’est pas reconnue comme telle à l’issue de l’évaluation, elle se voit notifier par le président du conseil départemental une décision formalisée de refus d’admission à l’aide sociale à l’enfance. En 2017, 60% des jeunes migrants souhaitant obtenir le statut de MNA étaient déclarés majeurs et faisaient ainsi l’objet d’une fin de prise en charge.
b) En pratique, une procédure aux nombreuses failles et souvent contestée
• Le « rejet-faciès » : Encore aujourd’hui la minorité est établie (lors de brefs entretiens) de manière arbitraire notamment pendant les périodes d’augmentation de la demande alors que le nombre d’hébergement stagne. Le défenseur des droits indique que les refus sont « plus nombreux en période de particulière affluence ». De nombreuses associations ont montré que la Croix-Rouge (chargée de trier les mineurs pour la ville de Paris) a régulièrement recours à des motifs basés sur des critères physiques ou sur « un mode de communication mature » pour refuser la minorité dans une situation où il y a beaucoup plus de demandeurs que de place.
• Un examen osseux imprécis : Cet examen supposé établir l’âge du demandeur est extrêmement excluant. L’âge est déterminé dans une fourchette de 2 ans, or, comme beaucoup de jeunes ont 16 ou 17 ans, on établit souvent leur âge à celui de la majorité, ils sont alors exclus bien que mineurs.
• L’incohérence départementale : La minorité est établie par le département, elle n’est valable que dans celui-ci, en effet un MNA qui change de département peut voir sa minorité remise en question et perdre son statut, il doit alors recommencer toute la procédure à zéro.
• Des pratiques illégales : alors que la loi impose un « accueil provisoire d’urgence » pour tout individus se déclarant mineur (en attendant de pouvoir établir ou non la minorité), nombre de ces demandeurs sont immédiatement refusés et doivent rester à la rue (à Paris l’ADJIE a recensé 52 cas entre septembre 2016 et janvier 2017) ne pouvant être logés dans des hébergements pour adultes qui ne sont pas habilités à prendre en charge des mineurs.
2- Répartition, prise en charge, hébergement.
• La répartition territoriale des mineurs non accompagnés : Le mécanisme de répartition des mineurs non accompagnés entre les départements est consacré par la loi du 16 mars 2016. Cette clef de répartition est définie par le décret du 24 juin 2016 qui prend en compte plusieurs critères : au critère démographique (la part de la population de moins de 19 ans dans le département) s’ajoute une prise en compte du nombre de mineurs non accompagnés pris en charge à la fin de l’année. Cette évolution législative et réglementaire doit permettre de connaître le nombre de mineurs pris en charge dans l’ensemble des départements. Cette connaissance statistique pourrait aussi contribuer à terme à la mise en place d’une véritable politique nationale dans ce domaine, loin des pratiques encore et toujours très disparates selon les territoires et qui sont souvent contraires aux engagements de la France en faveur des droits de l’enfant.
• Après la répartition, la prise en charge et l’hébergement de droit commun de la protection de l’enfance : Le placement des mineurs non accompagnés doit leur permettre de bénéficier d’une prise en charge et d’un accompagnement socio-éducatif et juridique, jusqu’à leur majorité. Le mineur peut alors être placé dans différents types de structures, ou plus rarement auprès d’une assistante familiale dans une famille d’accueil. Le plus souvent, les établissements proposent un hébergement en foyer ou en appartement. Malheureusement, lorsque l’état des dispositifs de protection de l’enfance ne le permet plus, ces mineurs sont le plus souvent hébergés en foyer de jeunes travailleurs ou même en chambre d’hôtel souvent insalubres comme le dénonce de nombreuses associations. Suite au suicide, en février dernier, de Malik Nurulain, un mineur pakistanais en « grande fragilité psychique », quinze associations ont dénoncé ce drame comme le résultat d’un manque de suivi manifeste de la part de l’ASE qui « a failli à son devoir de protection ».
Pour plus d'information consultez Des rêves et des papiers de Rosen Le Berre
Le Bangladesh : entre persécutions religieuses et affrontements politiques
En 2017, l’Organisation Internationale pour les Migrations a classé pour la première fois le Bangladesh comme premier pays de provenance de migration illégale à destination de l’Europe. Ce rang peut surprendre puisque le pays n’est pas en guerre. Comment alors expliquer cette évolution ?
Bien que cette situation progresse doucement ces dernières années, le Bangladesh a longtemps été l’un des pays les plus pauvres du monde. Aujourd’hui encore, environ un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté et son Indicateur de Développement Humain national est l’un des plus faibles. Cette conjoncture s’explique notamment par sa démographie : en effet, avec près de 170 millions d’habitants sur une petite surface presque enclavée dans l’Inde, le Bangladesh a l’une des plus fortes densités de population de la planète. De plus, il s’agit d’un territoire fortement soumis aux instabilités climatiques, comme les inondations fréquentes et destructrices le montrent.
L’HISTOIRE DU BANGLADESH.
• Le Bangladesh, autrefois Pakistan oriental: Le Pakistan, à majorité musulmane, est créée en 1947, avec la partition et l’indépendance de l’Inde britannique et coupé entre Pakistan Occidental et Oriental (le Bengale), séparés par 1 600 kilomètres de territoire indien. Le Pakistan Oriental, futur Bangladesh, est le théâtre de revendications autonomistes. En effet, cette province est soumise politiquement et socialement au Pakistan occidental: la langue ourdoue est par exemple adoptée comme langue officielle au détriment de la langue bengali parlée par la majorité des habitants du Pakistan Oriental. Dans ce contexte, la Ligue Awami dirigée par Mujibur Rahman (dit Mujib), qui réclame la scission, finit par emporter les élections en 1970. Toutefois, les autorités pakistanaises l'empêchent d'accéder au pouvoir et procèdent à la dissolution de l’Assemblée Nationale.
• Indépendance et guerre civile : Rapidement, le Pakistan sombre dans la guerre civile, en particulier après la déclaration d’indépendance du Bangladesh en mars 1971. La présidence du Bengladesh est confiée à Sheikh Mujibur Rahman, appelé Mujib le « père de la nation », que le président pakistanais Yahya Khan fait arrêter tout en lançant l’offensive armée contre ce nouveau pays. Bien que les chiffres soient discutés, Amnesty International estime que durant cette guerre trois millions de civils ont été tués, huit à dix millions ont suivi les routes de l’exil et 200 000 femmes ont été violées; beaucoup ont même parlé de génocide. Ce n’est qu’avec l’intervention de l’armée indienne aux côtés du Bangladesh que la guerre prend fin en décembre 1971. Le Pakistan ne reconnaît le Bangladesh que trois ans plus tard. En 2009 un tribunal est mis en place pour juger ces crimes et condamner certains responsables, néanmoins de nombreuses organisations humanitaires ont dénoncé sa partialité.
• Une démocratie mouvementée : Dès 1974, la démocratie parlementaire instaurée par les pères de l’indépendance est fragilisée par un état d’urgence liberticide, puis par un coup d’Etat un an plus tard qui renverse et tue Mujib et sa famille. Dans le même temps, le pays doit affronter une famine et l’effondrement de son économie. Celle-ci est cependant relancée par l’arrivée au pouvoir en 1976 du général Ziaur Rahman, autre acteur important de l’indépendance, qui lance la libéralisation de l’économie bangladaise. Il instaure un régime militaire autoritaire, islamisé, et aligné sur le pôle étatsunien dans le cadre de la Guerre Froide. Les heurts sont loin d’y être absents : les réfugié-e-s Rohingyas venant de la Birmane voisine affluent, l’économie se détériore de nouveau et les coups d’Etat se multiplient jusqu’à son assassinat en 1981. Sa succession ne ramène pas le calme ; malgré l’abolition de la loi martiale et le rétablissement d’élections libres en 1991, aucun gouvernement stable ne parvient à s’imposer. Cette période de lutte des partis est marquée par la corruption généralisée, les grèves, puis par la montée de la violence islamiste dans les années 2000. Les multiples catastrophes naturelles, principalement inondations et cyclones dues à la situation géographique du pays, tuent régulièrement des dizaines de milliers de Bangladais et participent à l’instabilité économique et politique, puisque les gouvernements successifs peinent à en gérer les conséquences. Les atteintes aux droits humains, l’influence de l’armée sur la politique et les tensions avec les pays voisins perdurent.
LES CAUSES DU DÉPART.
Les migrations croissantes trouvent leurs origines dans la misère qui sévit pour une grande part de la population, tandis que les réfugié-e-s demandent ce statut pour des raisons politiques ou religieuses.
• La pauvreté : La plupart des Bangladais et Bangladaises quittent leur pays pour trouver de meilleures conditions de vie ailleurs. En effet, dans un pays surpeuplé, le chômage chez les jeunes et les catastrophes naturelles poussent de nombreux ressortissants à migrer vers les pays voisins, mais aussi ces dernières années vers l’Europe.
• Les minorités religieuses : Le Pakistan a été créé sur une base confessionnelle, regroupant les musulmans de l’Inde britannique tandis que la plupart des personnes hindoues ont rejoint le territoire indien. La majorité de la population de l’ex-Pakistan Oriental est donc musulmane. L'islam est désormais la religion officielle du Bengladesh et 90% des habitants sont de confession musulmane. Selon certains observateurs internationaux, l’islam officiel au Bangladesh est un islam modéré, comparé à d’autres régimes de la région. Toutefois, depuis la guerre d’indépendance les civils hindous, principale minorité religieuse du pays, ont été la cible de violences. Cela s’est confirmé notamment avec la montée de courants islamistes. Les hindous, notamment les jeunes mineures, seraient par exemple visés par des conversions forcées. Cette hostilité d’une frange de la population à l’égard des minorités religieuses est aujourd’hui l’un des principaux motifs invoqués par les Bangladais réfugiés en Europe.
• Les opposants politiques : Le militantisme politique pousse certains à l’exil. C'est notamment le cas des membres du BNP, le Parti National du Bangladesh, principal parti d’opposition du pays. Le Bangladesh connaît en effet un virage autoritaire depuis quelques années, sous la direction de la Ligue Awami, parti laïc meneur de l’indépendance. Le boycott des élections de 2014 par l'opposition, en particulier le BNP, n'empêche la reconduction du parti au pouvoir. Durant cette période de tension, les violences font entre 150 et 500 morts . Le gouvernement procède à de multiples arrestations d’opposants, qualifiées d’arbitraires par Human Rights Watch. Plusieurs leaders politiques ont ainsi été surveillé ou arrêté pendant cette période.
Les partis islamistes sont également la cible de répressions au nom de la lutte anti-terroriste du gouvernement : plusieurs dirigeants du parti Jamaat-e-Islami ont été condamnés à mort dans le cadre des procès sur la guerre d’indépendance et le parti a été interdit en 2013. Selon plusieurs ONG, ces pratiques ont pour but d’affaiblir une opposition politique montante qui menace le parti au pouvoir. En retour, ces partis d’opposition s’attaquent à des structures gouvernementales, comme les bureaux de vote pendant les élections, mais aussi aux minorités religieuses perçues comme un appui du parti laïc qu’est la Ligue Awami.
Les militants du parti communiste subissent aussi des violences, de la part d’organisations politiques proches du pouvoir, d’islamistes et de propriétaires fonciers opposés à leurs réformes. Les opposants ont donc des positions particulièrement vulnérables dans un pays où la situation politique n’a jamais été stable. Le Bangladesh a d’ailleurs été retiré de la liste des pays d’origine « sûrs » par le Conseil d’Etat français en 2013 pour ces raisons.
• Des motifs secondaires : Les autre motifs, minoritaires, évoqués par les réfugiés bangladais et bangladaises sont souvent liés à ces tensions politiques et sociales qui animent leur pays, par exemple eu égard à leur orientation sexuelle. La situation des femmes des milieux populaires, bien qu’en progrès, reste difficile, on le constate notamment par le nombre de mariage précoce. En effet, ce pays fait parti de ceux ayant la plus grande proportion d’enfants mariés.
UN PEUPLE EN MIGRATION VERS L’EUROPE.
• Du Moyen Orient à l’Europe : La diaspora bangladaise est particulièrement importante dans les pays du Golfe et dans les pays limitrophes comme l’Inde. En effet, depuis l’indépendance, des masses de travailleurs et travailleuses (principalement pour l’industrie et le travail domestique) sont recrutés par le Moyen Orient pour répondre aux besoins de main-d’œuvre. Cette perspective de travail pour les Bangladais et Bangladaises est toutefois loin d’être rose : comme l’ont montré de nombreuses ONG et médias, ils sont exploités, parfois réduits en esclavages, privés de liberté pour des salaires dérisoires. De plus, les flux se sont taris ces dernières années et le Golfe ne constitue plus une débouchée aussi importante pour la main-d’œuvre, ce qui explique pourquoi beaucoup se dirigent maintenant vers l’Europe.
• De la Libye à l’Europe : à cause de la guerre qui agite la Lybie depuis les années 2010, les Bangladais qui y travaillaient ont fui le pays, pour tenter de rejoindre l’Europe, loin d’être leur horizon privilégié avant ces évènements. Les conditions actuelles de migration vers l’Europe ont en effet été le résultat de cette instabilité et du développement de réseaux de passeurs. Aujourd’hui, les migrants payent plus de 10 000 $ pour rejoindre la Lybie, par de nouvelles routes passant par les Emirats ou la Turquie, avant de s’embarquer vers les côtes européennes. Tout cela est organisé par les dalal, des passeurs qui promettent aux personnes migrantes visa et travail en échange de telles sommes. Ces périples sont dangereux : en utilisant les services des passeurs, les Bangladais risquent de se faire extorquer de l’argent, leurs papiers d’identité, d’être soumis au travail forcé ou pour les femmes de tomber dans des réseaux de prostitution. Beaucoup périssent également dans la traversée meurtrière de la Méditerranée.
• En France, peu de migrants bangladais obtiennent le statut de réfugié : par exemple, en 2016, seules 7,6% des demandes d’asile ont été acceptées par l’OFPRA. Selon Jérémie Codron, spécialiste du Bangladesh à l'Institut national des langues et civilisations orientales, la communauté bangladaise en France serait toutefois très fortement organisée et prendrait en charge ces personnes arrivantes quelque soit leur statut, leur évitant ainsi les camps de migrants.
L'Afghanistan : une guerre sans fin
Les Afghans ont été, entre décembre et janvier 2015, 200 000 à demander l’asile dans un pays européen. Ce chiffre qui ne prend pas en compte les arrivées illégales frappe par son importance et questionne sur les raisons de ces déplacements de populations alors que depuis le retrait des troupes de l’OTAN en 2014, la guerre dans ce pays est officiellement terminée. En 2017, en conséquence d'une situation sécuritaire qui se dégrade, 3 000 soldats américains supplémentaires ont été déployés mettant ainsi un terme au retrait progressif des troupes américaines initié par Barack Obama.
HISTOIRE DE L’AFGHANISTAN.
L’Ambition américaine et l’essor communiste en Afghanistan : Le choc pétrolier de 1973 fait prendre conscience au gouvernement des Etats Unis de la nécessité d’avoir, dans un contexte de guerre froide, un accès ininterrompu et sécurisé aux champs pétrolier du golfe persique et de les protéger de toute influence soviétique. Dans cette optique, l’administration américaine identifie le royaume d’Arabie Saoudite et l’Iran comme deux pays avec lesquels elle pourrait assurer la stabilité de la région. Cependant cette année-là, Mohammed Daoud Khan prend le pouvoir en Afghanistan et cherche à accélérer le développement économique de son pays en s’inspirant du modèle soviétique. En 1978, une faction radicale renverse Daoud considéré comme trop modéré et initie des réformes drastiques dans l’éducation, l’agriculture ou le droit de la famille.
La montée de l’islamisme :Dès 1973 des appels au Jihad contre le régime de Kaboul commencent à être prononcés et rapidement une insurrection prend forme. A partir de 1979, le gouvernement socialiste afghan perd petit à petit le contrôle du pays. Les soviétiques décident alors d’organiser un coup d’état pour placer un personnage plus modéré au pouvoir en espérant ainsi désamorcer la rébellion. Cependant, l’effet est inverse et le nombre des opposants au régime continue d’augmenter. Considérant leurs luttes comme une lutte sacrée, ils prennent le nom de
mujahideen (ceux qui mènent le Jihad). Ils disposent rapidement d’un soutien international très important notamment de la part des pays sunnites du Golfe et des Etats-Unis. Des milliards de dollars furent ainsi investis pour soutenir leur lutte contre le régime soviétique. Fort de leurs soutiens, les mujahideen jouèrent un rôle important dans le retrait des troupes soviétiques par Gorbatchev en 1989. Ce conflit causa la mort de plus d’un million d’Afghans et entraîna le déplacement d’environ cinq millions de personnes vers le Pakistan et l’Iran.
L’arrivée au pouvoir des talibans sous l’impulsion du Pakistan : la guerre civile continua et Kaboul finit par tomber aux mains des rebelles en 1991. Pendant le conflit,, le Pakistan a largement soutenu la rébellion en favorisant cependant les groupes prêchant un islamisme politique et radical que ce soit en Afghanistan en ne soutenant que les groupes islamistes radicaux ou dans les camps de réfugié au Pakistan. Après 1991, dans un pays ravagé par la famine et les destructions, un nouveau mouvement promettant de restaurer l’ordre sous la bannière de l’Islam émerge : les talibans. Littéralement « étudiant » la signification de ce mot indique que l’origine de ce mouvement se situe dans les madrasas, les écoles traditionnelles islamiques du Pakistan. Ces combattants ont pris le contrôle de la majorité du pays en moins de six ans grâce au soutien d’Islamabad. Les talibans pouvaient également compté sur le soutien de nombreux combattants étranger comme Osama bin Laden. Pendant dix ans, les Afghans vont vivre sous un régime islamique radical et continuent à subir les conséquences inhérentes à un conflit armé notamment les déplacements de population. En effet notamment au nord du pays, des groupes armés dirigés par le commandant Massoud luttent encore contre les talibans.
Les attentats du 11 septembre 2001 changent la donne pour l’Afghanistan : L’intervention internationale s’intensifie et replonge le pays dans la guerre. En effet lorsque les talibans refusèrent de livrer les chefs d’Al-Quaida qui se trouvaient en Afghanistan, les Américains épaulés par une large coalition internationale lancent une attaque rapide et victorieuse contre le régime. Cette guerre qui devait être rapide s’est cependant éternisée, la coalition internationale resta dans le pays jusqu’en 2015. Aujourd’hui, la guerre n’est toujours pas terminée. Certaines régions sont encore contrôlées par des groupes talibans et la vie des Afghans est rythmée par des attentats récurrents. De plus, le retrait de la coalition internationale a entrainé une recrudescence des violences. Un rapport de la MANUA (Mission d’assistance des Nations-Unies pour l’Afghanistan) de 2015 a montré une augmentation du nombre de victime civile (4 927 victimes dont 1592 morts) dans les six premiers mois de l’année 2015 avec une augmentation de 28% du nombre de victime féminine et de 13% du nombre d’enfants pris pour cible.
LES CAUSES DE L’EXIL.
L’intervention internationale de 2001 n’a paradoxalement pas vraiment amélioré la situation de l’Afghanistan et ses habitants ont presque autant de raisons de quitter leurs pays que sous le régime taliban.
Dégradation de la situation sécuritaire depuis le départ des troupes internationales: En effet, des pans entiers de territoires sont retombés sous le contrôle des talibans et l’organisation Etat islamique s’est également infiltré dans l’est de l’Afghanistan ce qui engendre de nouvelles violences et augmente l’insécurité comme le démontre le récent bombardement américain sur les positions de l’EI. De plus, les attentats sont réguliers et tuent de nombreux civils. Des groupes terroristes profèrent également des menaces contres de nombreux hommes et femmes les forçant à partir. Par exemple, de nombreux interprètes afghans ayant travaillés pour les forces internationales sont menacés de mort et poussés à l’exil. Cet exemple illustre un phénomène plus large : tous les individus soupçonnés d’avoir aidé la coalition internationale de près ou de loin sont considérés comme de traîtres et sont menacés de mort. Ces personnes n’ont donc souvent par d’autre choix que de quitter leurs pays, le plus souvent vers l’Europe. Le Pakistan et l’Iran qui accueillaient autrefois les réfugiés afghans ne le font plus. L’accueil dans ces pays n’est plus possible car la protection des réfugiés n’y est plus garantie et toute intégration à long terme n’est pas non plus possible. Selon l’ONG Humans Right Watch, 370 000 réfugiés afghans au Pakistan ont dû retourner dans leurs pays entre le 1er juillet et le 15 octobre 2016 car leurs droits sont bafoués. Cependant, de retour dans leurs pays, leur situation n’est pas meilleure en partie à cause de la guerre qui déchire encore leurs pays et qui limite donc leurs perspectives de réintégration.
Une situation économique catastrophique : Depuis 2014, l’économie afghane, boostée artificiellement par la forte présence internationale, s’est effondrée. D’une part, les subventions internationales ont diminué alors que le pays en est largement dépendant et le marché du travail s’est également resserré. En effet, de nombreux Afghans qui travaillaient pour les organisations internationales se sont retrouvés au chômage. Cette classe moyenne émergente s’est trouvée désemparée, leur situation sécuritaire s’est également dégradée car ils sont souvent perçus comme des profiteurs de guerre ou des traitres. Ils sont donc également des candidats à l’exil. La situation démographique aggrave encore plus une situation économique déjà mauvaise. En effet, le retour massif de réfugiés des pays voisins et l’augmentation rapide de la population rend encore plus inefficace les services publics déjà rares et fait augmenter le chômage.
La mauvaise situation économique est aggravée par une corruption endémique : Un rapport des Nations Unis de 2010 a montré que sur période de douze mois, un adulte sur deux a payé un officiel du gouvernement pour obtenir des services publics de base. Cette corruption s’étend également aux aides internationales. En effet, on estime que plusieurs des 110 milliards d’aide américaine ont disparu. Ainsi les Afghans ont rapidement sensé de croire en un gouvernement corrompu et encore largement autocratique qui n’arrive ni à améliorer la situation sécuritaire, ni l’économie du pays. Désillusionnés par quarante ans de conflits et d’échec des différents gouvernements, de nombreux afghans n’imaginent plus leurs futurs dans leurs pays.
Le non-respect des droits de l’Homme, un facteur important de départ : Même si les droits des femmes sont théoriquement reconnus par la loi, leurs respect dans les faits n’est pas du tout acquis. Neuf femmes sur dix sont encore victimes de mariage forcé et sont menacées sexuellement, physiquement ou verbalement. Il faut cependant noter que l’accès à la santé et aux soins s'est largement amélioré. Cependant, en parallèle, des pratiques gravement attentatoires aux droits de l’homme ont refait surface avec l’arrivée des forces internationales. La « tradition » du bacha bazi est considérée comme étant une des pratiques les plus attentatoires aux droits fondamentaux en Afghanistan. Littéralement « jouer avec les garçons », cette pratique consiste à utiliser un jeune garçon comme esclave sexuel. Lors d’une réunion entre homme, ces jeunes âgés entre 10 et 18 ans et souvent habillés en femme, danse au début de la soirée qui se termine souvent par une agression sexuelle. Cette « tradition » interdite et sévèrement réprimée par les Talibans est réapparue ces dernières années sous les yeux indifférents des forces internationales. En effet, selon Joseph Coldberg, journaliste au New York Times, les soldats américains avaient ordre de détourner le regard et cela jusque dans leur base. Ainsi, des chefs de milice alliée de l’OTAN ont pu opérer en toute impunité. Ces jeunes hommes violés à répétition et utilisés comme esclave par les plus puissants sont de sérieux candidats à l’exil s’ils ne rejoignent pas les Talibans. Plus généralement, depuis 2003, les crimes commis par les différents acteurs de la guerre civile sont nombreux et aucun des belligérants n'en est exempt. C'est pour cela que la Cour pénale internationale (CPI) a demandé aux juges l’autorisation d’ouvrir une enquête concernant les crimes contre l'humanité et les crimes de guerres commis par les Talibans, les services de sécurité afghan et la CIA.
SITUATION DES AFGHANS EN EUROPE.
Ces Afghans représentent une partie importante des migrants qui tapent à la porte de l’Europe : En Allemagne, ils représentent en 2016 le deuxième groupe le plus nombreux à demander l’asile après les Syriens. Entre janvier et décembre 2015, ils étaient 200.000 à demander l'asile à l'un des pays de l'UE. Soit 6 fois plus qu'en 2014. Ils représentaient, en 2015, 14% de l’ensemble des demandeurs d’asile en Europe.
Une fois en Europe, leurs conditions de vie restent difficiles : En France, s’ils ne dorment pas dans la rue, ils sont logés dans des camps où les conditions de vie sont mauvaises comme dans le camp de Grande-Scynthe, jusqu’à sa destruction, où les migrants afghans dormaient entassés dans les cuisines faute de place.
Leur accès au statut de réfugié demeure incertain : En effet, l’Afghanistan est considéré par les chancelleries occidentales comme un territoire « post-conflit ». Cela implique que les demandeurs d’asile afghans ont beaucoup de chance d’être déboutés alors que, comme nous l’avons précisé précédemment, les conditions de sécurité en Afghanistan ne permettent pas d’assurer un retour en toute sécurité de ces migrants. Dans cette logique, l’UE a signé un accord en octobre 2016 avec l’Afghanistan autorisant les états européens à expulser par charter les Afghans déboutés du droit d’asile y compris les mineurs isolés et ce sans limite de nombre.
Soudan : un pays ravagé par les conflits
Le Soudan, deuxième plus grand pays d’Afrique, partage ses frontières avec la Libye, l’Egypte, l’Erythrée, l’Ethiopie, le Tchad et la République centrafricaine ainsi qu’avec le Soudan du Sud depuis que cette région a proclamé son indépendance en 2011.
Depuis plus d’un demi-siècle, le Soudan est ravagé par les conflits armés : guerres civiles, affrontements entre le Nord et le Sud mais aussi à l’Ouest, depuis 2003, avec le conflit du Darfour. Ce vaste pays caractérisé par une grande diversité ethnique fait aujourd’hui face à des mouvements de population massifs et une situation humanitaire alarmante. En 2016, les Soudanais représentaient le premier flux des demandes de protections internationales déposées en France.
L’HISTOIRE DU SOUDAN
• Une histoire marquée par les guerres civiles : Lorsque le Soudan devient indépendant en 1956, c’est une dictature militaire qui succède à l’administration britannique. Le pays plonge immédiatement dans une guerre civile qui oppose, pendant plus de quinze ans, la région du Sud réclamant une plus grande autonomie au Nord du pays où se trouve Khartoum le siège du pouvoir central. En 1983, la proclamation de la loi islamique (Charia) par le chef du gouvernement Jafar Nimeiry provoque des insurrections. Il faut rappeler qu’un tiers de la population soudanaise, principalement les habitants du Sud, n’est pas de confession musulmane. Les révoltes entraînent la chute du dictateur en 1985. Il s’ensuit toutefois une nouvelle guerre civile qui durera plus de vingt ans. Les affrontements entre le gouvernement et des groupes armés sudistes font jusqu’en 2005 plusieurs millions de morts. Parallèlement, le pays connaît dans les années 1980 une vague de sécheresse entraînant une famine meurtrière ainsi qu’une crise humanitaire de grande ampleur. En 1989, un coup d’état militaro-islamiste permet à Omar al-Bashir d’accéder au pouvoir. A la tête du Soudan depuis ce jour, cet ancien militaire a mis en place un régime politique autocratique à forte tendance islamiste.
• Des guerres fondées sur une opposition Nord/Sud aux multiples facettes : Souvent présentées comme un conflit religieux opposant le Nord islamique au Sud animiste et chrétien, la réalité nécessite de prendre en compte d’autres aspects sociaux et économiques qui divisent le pays : la présence d’une culture tribale au Sud distincte de la coutume arabo-musulmane du Nord, l’importance de l’agriculture au Nord face à un Sud porté sur l’élevage... De plus, dès la fin des années 1970, les tensions Nord/Sud ont aussi été nourries par la découverte des champs de pétrole dans le Sud du pays. Cette distinction géographique mérite aussi d’être replacée historiquement. Le Sud a pendant longtemps été une zone d’exploitation pour la traite d’esclaves notamment lorsque la région était dominée par l’Egypte au début du XIXe siècle. Par la suite, les politiques coloniales des Britanniques ont elles aussi contribué à accentuer la spécificité du Sud en limitant son développement socio-économique.
• Une indépendance du Soudan du Sud qui n’a pas suffi à mettre fin au conflit : Suite à la guerre civile, un accord de paix a été établi en 2005 prévoyant une période de six ans d’autonomie pour le Sud, suivie d’un référendum d’autodétermination. En 2011, le oui est voté à 98,8 % et le Soudan du Sud devient dès lors un pays indépendant. Cependant, le conflit inter-soudanais ne cesse pas et ce, entre autres à cause des réserves pétrolières du Sud. Depuis 2011, les affrontements ont repris entre les deux pays. Par ailleurs, en 2013, le Soudan du Sud plonge dans une guerre civile interne à cause de rivalités inter-ethniques opposant notamment le président et le vice-président du jeune gouvernement sud-soudanais. Des atrocités sont commises de part et d’autre comme le viol de milliers de femmes par des groupes armés. Face à une situation humanitaire dramatique, le gouvernement sud-soudanais a déclaré l’état de famine en janvier 2017. La présence de réserves pétrolières au Soudan du Sud laissait pourtant présager un avenir favorable pour le jeune pays. Cependant, l’absence de structure étatique, l’instabilité politique et les ravages de la guerre font jusqu’à aujourd’hui obstacle au développement tandis que les conditions de vie de la population sont devenues particulièrement préoccupantes.
• Le conflit du Darfour : Un autre conflit, plus médiatisé que la guerre entre le Nord et le Sud a récemment dévasté la région. En 2003, au Darfour, province de l’Ouest du Soudan, des groupes rebelles s’insurgent contre le gouvernement central de Khartoum qu’ils accusent d’avoir abandonné leur région alors touchée par d’importantes vagues de sécheresse. Pour réprimer l’insurrection, le gouvernement s’allie à la tribu arabe des Janjawids qui pratiquent une répression d’une violence extrême envers les ethnies « noires-africaines » non arabophones. Cependant, contrairement au conflit Nord/Sud, la guerre civile du Darfour n’a pas de dimension religieuse. Les facteurs du conflit sont multiples et complexes mêlant rivalités ethniques à des aspects socio-économiques propres à la région. Dès 2005, le conflit s’étend au Tchad et dans une moindre mesure à l’Erythrée et à la Lybie, la dimension régionale de la guerre rend la résolution du conflit épineux. Malgré l’adoption d’un cessez-le-feu en 2015, le conflit persiste et aucun accord de paix n’a pour l’instant été signé.
LES CAUSES DU DÉPART
• Les guerres, à l’origine d’une migration difficilement quantifiable : L’estimation du nombre de réfugiés et de personnes déplacées lors de ce conflit est difficile étant donné la mobilité de la population et l’impossibilité pour l’ONU d’établir des chiffres exacts. Néanmoins, on considère généralement que la guerre civile de 1983-2005 a fait plus de 2 millions de morts et plus de 4 millions de Sud-Soudanais se sont rendus soit au Nord, soit dans des pays voisins (Ethiopie, Kenya, Ouganda et Egypte).
• Des Soudanais du Darfour persécutés : Les Soudanais qui immigrent vers l’Europe sont pour la plupart originaires de la région du Darfour où ils sont persécutés pour leur appartenance ethnique ou leur soutien, réel ou imputé, à la rébellion. De plus, ils s’exposent à de violentes persécutions dans le cas d’un retour. Face aux soulèvements populaires du Darfour, la réponse de Khartoum prend la forme d’une répression massive. Le gouvernement et les groupes rebelles commettent des massacres et de multiples exactions (villages rasés, viols, pillages etc.). En 2004, la situation humanitaire est très alarmante et l’ONU en vient à dénoncer un nettoyage ethnique. Le chef d’état soudanais, Omar al-Bashir, est depuis accusé par la Cour pénale internationale de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. L’ONU estime à 300 000 le nombre de victimes et 3 millions celui de déplacés. La guerre du Darfour peut être analysée comme un symptôme d’une longue crise soudanaise datant de la période coloniale.
• La question de la nationalité, ou la fabrique d’apatrides au Soudan : En effet, suite à l’indépendance de 2011, le Soudan et le Soudan du sud ont tous deux adopté des critères ethniques pour définir les conditions du droit à la nationalité. Le Soudan a déchu de leur nationalité des centaines de milliers de Sud-soudanais présents sur son territoire. Devenus du jour au lendemain apatrides et illégaux sur le territoire, ils subissent les persécutions du gouvernement soudanais. Leur rapatriement vers le Soudan du Sud est une entreprise compliquée et couteuse pour le Soudan du Sud en pleine crise humanitaire et déchiré par la guerre civile.
• La situation économique : Depuis l’indépendance du Soudan du Sud, le niveau de vie a baissé dans la région à cause du conflit, de l’arrêt de l’exploitation de mines pétrolières auxquels il faut ajouter les impacts économiques négatifs causés par la chute du prix du pétrole. Cette situation de profonde crise économique est en partie responsable d’une augmentation de la pauvreté qui constitue un des facteurs de départ.
• Un régime oppressif et liberticide : Outre les affrontements armés, les gouvernements du Soudan et du Soudan du Sud sont des régimes autoritaires caractérisés par une absence de liberté individuelle, un contrôle des médias, une intolérance religieuse, une répression violente et un enrôlement forcé dans les forces armées. Le gouvernement Sud-soudanais ainsi que les factions rebelles sont aussi accusés d’utiliser des dizaines de milliers d’enfants-soldats.
LA SITUATION DES MIGRANTS SOUDANAIS EN EUROPE
Le Soudan a été pendant longtemps un des pays du monde accueillant le plus de migrants dont notamment des centaines de milliers de réfugiés érythréens fuyant la dictature à la fin des années 1970. Bien que ses crises politiques n’en font pas une destination propice à l’accueil, le Soudan reste un pays de transit pour des milliers d’habitants de la Corne de l’Afrique qui compte 500 000 réfugiés venant d’Erythrée, d’Ethiopie, de Somalie et du Sud-Soudan auxquels il faut ajouter les 3 millions de Soudanais déplacés de forces à l’intérieur du pays dont 2,5 millions du Darfour.
• Comment l’Europe collabore avec le Soudan pour empêcher l’arrivée de migrants sur son territoire : Selon la direction des étrangers du ministère de l’intérieur, il y aurait actuellement en France près de 14 500 soudanais qui auraient obtenu un titre de séjour. Cependant, en 2014, l’Union Européenne a signé les accords de Khartoum, suivi en 2015 du sommet de La Valette proposant à des pays africains comme le Soudan d’empêcher les migrations vers l’Europe en échange d’allocations d’aide au développement. Un soutien financier est donc offert par les pays européens pour un meilleur contrôle des frontières du Soudan. Toutefois, des militants des droits de l’homme dénoncent cette collaboration avec des régimes dictatoriaux qui selon eux seraient directement impliqués dans des circuits de trafic humain. De plus, les réfugiés retenus dans des camps au Soudan vivent dans des conditions de précarité extrême et les non-musulmans sont souvent les victimes d’une discrimination aigue.
• La France aurait fait appel au régime soudanais pour l’identification d’exilés en situation irrégulière sur son territoire : Entre 2014 et 2016, en France, 200 personnes auraient été expulsées au Soudan suite à des interrogations menées par une délégation soudanaise tandis qu’ils affirmaient être opprimés par le gouvernement de Khartoum. Le même procédé a récemment été dévoilé en Belgique, mettant alors en lumière le cas français. En travaillant avec des fonctionnaires de Khartoum, les gouvernements européens se permettent de renvoyer des opposants politiques soudanais et de les exposer ainsi à de violentes sanctions de la part du régime d’Omar al-Baschir, par ailleurs toujours sous mandat d’arrêt de la Cour Pénal internationale pour crimes de guerre.
Erythrée : une prison à ciel ouvert
Après la Syrie, l’Irak, l’Afghanistan et le Nigeria, l’Erythrée est le 5e pays de provenance des migrants qui sont arrivés par la Méditerranée sur les côtes grecques et italiennes en 2016. Les Erythréens qui migrent vers Europe sont pour la majorité des jeunes de moins de 25 ans fuyant le service militaire, la misère et les mauvais traitements. La France n’est pas première destination des Erythréens qui pour la plupart déposent leurs demandes d’asile en Suède, en Allemagne et en Suisse.
L’Erythrée est un petit pays de la corne de l’Afrique au bord de la mer rouge. Il fait frontière avec le Soudan, l’Ethiopie et la République de Djibouti. Ce jeune pays s’est progressivement transformé en un état prison. De nos jours, des dizaines de milliers d’Erythréens fuient chaque année leur pays et tentent de rejoindre l’Europe.
L’HISTOIRE DE L’ERYTHRÉE
Pour comprendre ce qui pousse depuis plusieurs années la population à l’exil, il est nécessaire de revenir sur l’histoire de la région
• De la colonisation italienne au conflit avec l’Ethiopie : Ce jeune pays était jusqu’à son indépendance en 1993 une région de l’empire éthiopien. L’Erythrée a été colonisée par l’Italie dès le XIXe siècle. Le reste de l’Ethiopie parvient néanmoins à rester souveraine jusqu’à l’entre-deux-guerres. Après la deuxième guerre mondiale, l’Erythrée ainsi que l’Ethiopie conquise par l’Italie fasciste dans les années 1930 passe sous le contrôle des Anglais.
Le sort de la région est laissé aux alliés qui en 1950 décident d’une solution intermédiaire : l'Érythrée devient la quatorzième province d’Ethiopie, un territoire autonome sous souveraineté éthiopienne. Mais l’Erythrée sous domination italienne s’est peu à peu forgée une identité régionale propre. L’empereur éthiopien Hailé Selassié prend alors des mesures pour atténuer les spécificités érythréennes : interdiction des partis politiques nationalistes et de l’usage du tigrinya (langue majoritaire en Erythrée) dans les documents officiels. Pour l’empereur, la récupération de l’Erythrée permet au pays de retrouver un accès à la mer.
Le rattachement de l’Erythrée à l’Ethiopie engendre des tensions de la part des indépendantistes. Un conflit entre les deux pays éclate et durera 30 ans (1961– 1991). Paradoxalement, les Erythréens demandent le retour aux tracés des frontières mises en place par les colons italiens. Cette lutte trouve rapidement le soutien des Forces Populaires de Libération (FPLE), un groupe marxiste qui prend la tête de la guérilla. Issayas Afewerki, leader du FPLE, deviendra ainsi le chef du nouvel État érythréen. Le 24 mai 1991 sonne la fin de la guerilla.
• La guerre d’indépendance :
• L’établissement de la dictature : Malgré l’accord signé en 1993 qui met fin à la guerre et reconnaît l’indépendance de l’Erythrée, les deux pays ne s’entendent pas sur le tracé des frontières. Quelques années s’écoulent seulement avant qu’ils ne reprennent les armes. La guerre contre l’Ethiopie qui fait feu entre 1998-2000 coute la vie à plus de 100 000 jeunes et soulève des contestations aux seins des membres du parti. Issayas Afewerki durcit alors sa politique pour contrer ses opposants politiques. En septembre 2001, suite à un putsch avorté, il prend des mesures totalitaires : les réformistes sont écartés du gouvernement, les journaux privés sont interdits et le projet de Constitution abandonné. Le pays se transforme progressivement en état-prison. Selon un rapport d’Amnesty International de 2013, 10 000 prisonniers politiques seraient détenus en Erythrée sans avoir été inculpés ou jugés. On dénombre plus de 300 camps de détention dans le pays. Les prisonniers subissent tortures et traitements inhumains.
LES CAUSES DU DÉPART
Aujourd’hui, Issayas Afewerki est à la tête du pays depuis plus de deux décennies. Aucune élection n’a jamais été organisée, le système politique repose sur un parti unique dirigé par un chef suprême prônant une idéologie marxiste-léniniste et suivant une économie planifiée. Cependant, derrière des apparences d’égalitarisme se cache un système totalitaire dans lequel Etat, parti et société se confondent. On surnomme ainsi le pays, la Corée de Nord de l’Afrique. L’ancien héros de la lutte indépendantiste a transformé le pays en un de camp de travail forcé.
• Le service national, instrument d’oppression : En 1994, il crée un service national obligatoire pour tous les hommes et les femmes dès la fin de l’école obligatoire. Le service peut être civil ou le militaire puisque le régime contrôle toute la société. Les jeunes servent de main d’œuvre gratuite tout en étant éduqués aux valeurs du parti, notamment le sacrifice pour la nation au détriment des libertés individuelles. En 2002, après la défaite de la guerre contre l’Ethiopie le régime étend le service à une durée indéterminée. Dans les faits, le service national s’apparente à une forme d’esclavage, une prise d’otage de la jeunesse. Les traitements violents et le viol des femmes sont fréquents. La brutalité et les tortures que subit la population soumis à ces travaux forcés poussent les jeunes à fuir vers l’étranger. Il est difficile de quitter légalement le pays et la désertion est considérée comme une trahison antipatriotique.
• Une pauvreté extrême : En 2013, l’Erythrée est classé 181e sur 187 sur l’échelle de l’ONU en matière de développement humain. La mise en place du service national n’a généré aucune croissance et a fait échouer le plan économique du régime. Les zones rurales sont privés de main-d’œuvre ce qui provoque de la malnutrition. Le gouvernement qui refuse toutes aides internationales peine à développer le pays qui n’a pas assez de ressources pour être autosuffisant. L’accès à l’eau propre notamment reste un problème majeur. Selon le rapport d’UNICEF (9 janvier 2017), près de 2 millions d’Erythréens seraient en situation d’insécurité alimentaire dont 60% d’enfants (sur une population estimée à 5 millions).
• Des atteintes aux droits de l’homme : Human Rights Watch dénonce les nombreuses violations des Droits de l’Homme en Erythrée comme les tortures des prisonniers, le travail forcé que représente le service national, les arrestations et détentions arbitraires, les limites à la liberté de circulation et l’absence de liberté d’expression. Le classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières classe en 2017 l’Erythrée en avant-dernière position, avant la Corée de Nord. Mais la dictature érythréenne reste encore largement inconnue du reste du monde et ce, probablement, à cause de l’absence d’enjeux politiques internationaux ; le pays n’a pas de pétrole, ni d’armes nucléaires.
LES CONDITIONS DE L’EXIL
L’ONU estime que sur une population de 5 millions, 1 million d’Erythréens se sont évadés depuis 2004 vers le Soudan et l’Ethiopie. Pour empêcher les fuites du pays, les frontières sont protégées par des champs de mines. De plus, les gardes-frontières reçoivent l’ordre de tirer sur les fuyards.
• Vers le Soudan puis vers l’Europe : La première étape est, pour la plupart, les camps de réfugiés en Ethiopie ou au Soudan dans laquelle les conditions de vie sont très précaires. Pour ceux qui y parviennent, le périple jusqu’aux côtes européennes dure souvent des mois, voire des années, et coûte plusieurs milliers d’euros à chaque individu. Aujourd’hui, plus de 100 000 réfugiés Érythréens se trouvent au Soudan et 100 000 en Ethiopie où ils vivent confinés dans des camps sans qu’on leur accorde l’autorisation de travailler.
• Kidnappés au Soudan, vendus en Egypte : Les fugitifs sont enlevés par des tortionnaires à la frontière entre l’Erythrée et le Soudan. Ils sont vendus par des trafiquants Rashaidas aux Bédouins du Sinaï. Une étude publiée en 2013 révèle l’existence d’un monstrueux trafic d’êtres humains (The Human Trafficking Cycle, Sinai and Beyond). Parmi les 50 000 Erythréens qui seraient passés par le Sinaï entre 2009 et 2013, 10 000 sont morts ou disparus. Les Erythréens kidnappés sont torturés et détenus jusqu’à ce qu’une rançon soit payée par leurs proches. Certains trafiquants bédouins sont impliqués dans le trafic d’organes et ont tué des migrants pour revendre leurs organes à des médecins égyptiens. Les opérations militaires menées par l’Egypte contre les djihadistes dans le Sinaï ont permis de réduire ce trafic humain, même s’il semblerait, selon AlJazeera, que ce type d’enlèvement se serait déplacé vers la Libye.
• La route principale, vers l’Europe en passant par la Libye : Une grande partie des Erythréens embarquent pour l’Europe en Libye. Le 3 octobre 2013, le naufrage d’un bateau au large de Lampedusa a coûté la vie à plus de 300 migrants africains dont une majorité d’érythréens.
• L’impôt, un contrôle du gouvernement au-delà des frontières : Bien que le gouvernement érythréen sanctionne les familles de ceux et celles qui osent partir (amende d’environ 15 fois le salaire moyen annuel), l’exode profite aussi à la dictature qui en fait une source importante de revenu. En effet, la diaspora est forcée de payer 2% de son salaire au gouvernement. Cet impôt illégal permet de renflouer les caisses d’un état qui maintien ainsi un contrôle sur les exilés. Cependant il est probable que ceux qui fuient illégalement ne la paient pas car ils n’ont pas l’espoir de rentrer. Pour les convaincre, le gouvernement érythréen prétend que ceux qui s’acquittent de la taxe ne subiront pas de représailles s’ils rentraient. Dans les faits, payer la taxe ne garantit aucune sécurité et nombreuses sont les arrestations à la frontière.
LES MIGRANTS ERYTHRÉENS EN EUROPE
Les migrants érythréens sont pour la plupart des jeunes qui fuient le service national et la politique répressive du régime. Lorsqu’ils arrivent en Europe, la plupart des Erythréens expliquent avoir déserté et craindre les répressions. En France, l’OPFRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) a analysé 1243 dossiers érythréens en 2016. Les personnes dont la nationalité érythréenne est établie par l’Office sont reconnues en tant que réfugiés. Toutefois seulement 45% des demandeurs d’asile érythréens parviennent à obtenir ce statut. Ce chiffre s’explique en partie par le nombre d’éthiopiens se faisant passer pour des Erythréens afin d’obtenir l’asile.
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