Le Bangladesh : entre persécutions religieuses et affrontements politiques

FocusPublié le 7 mars 2018
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En 2017, l’Organisation Internationale pour les Migrations a classé pour la première fois le Bangladesh comme premier pays de provenance de migration illégale à destination de l’Europe. Ce rang peut surprendre puisque le pays n’est pas en guerre. Comment alors expliquer cette évolution ?

Bien que cette situation progresse doucement ces dernières années, le Bangladesh a longtemps été l’un des pays les plus pauvres du monde. Aujourd’hui encore, environ un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté et son Indicateur de Développement Humain national est l’un des plus faibles. Cette conjoncture s’explique notamment par sa démographie : en effet, avec près de 170 millions d’habitants sur une petite surface presque enclavée dans l’Inde, le Bangladesh a l’une des plus fortes densités de population de la planète. De plus, il s’agit d’un territoire fortement soumis aux instabilités climatiques, comme les inondations fréquentes et destructrices le montrent.

L’HISTOIRE DU BANGLADESH

  • Le Bangladesh, autrefois Pakistan oriental : Le Pakistan, à majorité musulmane, est créée en 1947, avec la partition et l’indépendance de l’Inde britannique et coupé entre Pakistan Occidental et Oriental (le Bengale), séparés par 1 600 kilomètres de territoire indien. Le Pakistan Oriental, futur Bangladesh, est le théâtre de revendications autonomistes. En effet, cette province est soumise politiquement et socialement au Pakistan occidental: la langue ourdoue est par exemple adoptée comme langue officielle au détriment de la langue bengali parlée par la majorité des habitants du Pakistan Oriental. Dans ce contexte, la Ligue Awami dirigée par Mujibur Rahman (dit Mujib), qui réclame la scission, finit par emporter les élections en 1970. Toutefois,  les autorités pakistanaises l'empêchent d'accéder au pouvoir et procèdent à la dissolution de l’Assemblée Nationale.
  • Indépendance et guerre civile : Rapidement, le Pakistan sombre dans la guerre civile, en particulier après la déclaration d’indépendance du Bangladesh en mars 1971. La présidence du Bengladesh est confiée à Sheikh Mujibur Rahman, appelé Mujib le « père de la nation », que le président pakistanais Yahya Khan fait arrêter tout en lançant l’offensive armée contre ce nouveau pays. Bien que les chiffres soient discutés, Amnesty International estime que durant cette guerre trois millions de civils ont été tués, huit à dix millions ont suivi les routes de l’exil et 200 000 femmes ont été violées; beaucoup ont même parlé de génocide. Ce n’est qu’avec l’intervention de l’armée indienne aux côtés du Bangladesh que la guerre prend fin en décembre 1971. Le Pakistan ne reconnaît le Bangladesh que trois ans plus tard. En 2009 un tribunal est mis en place pour juger ces crimes et condamner certains responsables, néanmoins de nombreuses organisations humanitaires ont dénoncé sa partialité.
  • Une démocratie mouvementée : Dès 1974, la démocratie parlementaire instaurée par les pères de l’indépendance est fragilisée par un état d’urgence liberticide, puis par un coup d’Etat un an plus tard qui renverse et tue Mujib et sa famille. Dans le même temps, le pays doit affronter une famine et l’effondrement de son économie. Celle-ci est cependant relancée par l’arrivée au pouvoir en 1976 du général Ziaur Rahman, autre acteur important de l’indépendance, qui lance la libéralisation de l’économie bangladaise. Il instaure un régime militaire autoritaire, islamisé, et aligné sur le pôle étatsunien dans le cadre de la Guerre Froide. Les heurts sont loin d’y être absents : les réfugié-e-s Rohingyas venant de la Birmane voisine affluent, l’économie se détériore de nouveau et les coups d’Etat se multiplient jusqu’à son assassinat en 1981. Sa succession ne ramène pas le calme ; malgré l’abolition de la loi martiale et le rétablissement d’élections libres en 1991, aucun gouvernement stable ne parvient à s’imposer. Cette période de lutte des partis est marquée par la corruption généralisée, les grèves, puis par la montée de la violence islamiste dans les années 2000. Les multiples catastrophes naturelles, principalement inondations et cyclones dues à la situation géographique du pays, tuent régulièrement des dizaines de milliers de Bangladais et participent à l’instabilité économique et politique, puisque les gouvernements successifs peinent à en gérer les conséquences. Les atteintes aux droits humains, l’influence de l’armée sur la politique et les tensions avec les pays voisins perdurent.

LES CAUSES DU DÉPART

Les migrations croissantes trouvent leurs origines dans la misère qui sévit pour une grande part de la population, tandis que les réfugié-e-s demandent ce statut pour des raisons politiques ou religieuses.

  • La pauvreté : La plupart des Bangladais et Bangladaises quittent leur pays pour trouver de meilleures conditions de vie ailleurs. En effet, dans un pays surpeuplé, le chômage chez les jeunes et les catastrophes naturelles poussent de nombreux ressortissants  à migrer vers les pays voisins, mais aussi ces dernières années vers l’Europe.
  • Les minorités religieuses : Le Pakistan a été créé sur une base confessionnelle, regroupant les musulmans de l’Inde britannique tandis que la plupart des personnes hindoues ont rejoint le territoire indien. La majorité de la population de l’ex-Pakistan Oriental est donc musulmane. L'islam est désormais la religion officielle du Bengladesh et 90% des habitants sont de confession musulmane. Selon certains observateurs internationaux, l’islam officiel au Bangladesh est un islam modéré, comparé à d’autres régimes de la région. Toutefois, depuis la guerre d’indépendance les civils hindous, principale minorité religieuse du pays, ont été la cible de violences. Cela s’est confirmé notamment avec la montée de courants islamistes. Les hindous, notamment les jeunes mineures, seraient par exemple visés par des conversions forcées. Cette hostilité d’une frange de la population à l’égard des minorités religieuses est aujourd’hui l’un des principaux motifs invoqués par les Bangladais réfugiés en Europe.
  • Les opposants politiques : Le militantisme politique pousse certains  à l’exil. C'est notamment le cas des membres du BNP, le Parti National du Bangladesh, principal parti d’opposition du pays. Le Bangladesh connaît en effet un virage autoritaire depuis quelques années, sous la direction de la Ligue Awami, parti laïc meneur de l’indépendance. Le boycott des élections de 2014 par l'opposition, en particulier le BNP, n'empêche la reconduction du parti au pouvoir. Durant cette période de tension, les violences font entre 150 et 500 morts . Le gouvernement procède à de multiples arrestations d’opposants, qualifiées d’arbitraires par Human Rights Watch. Plusieurs leaders politiques ont ainsi été surveillé ou arrêté pendant cette période.

Les partis islamistes sont également la cible de répressions au nom de la lutte anti-terroriste du gouvernement : plusieurs dirigeants du parti Jamaat-e-Islami ont été condamnés à mort dans le cadre des procès sur la guerre d’indépendance et le parti a été interdit en 2013. Selon plusieurs ONG, ces pratiques ont pour but d’affaiblir une opposition politique montante qui menace le parti au pouvoir. En retour, ces partis d’opposition s’attaquent à des structures gouvernementales, comme les bureaux de vote pendant les élections, mais aussi aux minorités religieuses perçues comme un appui du parti laïc qu’est la Ligue Awami.

Les militants du parti communiste subissent aussi des violences, de la part d’organisations politiques proches du pouvoir, d’islamistes et de propriétaires fonciers opposés à leurs réformes. Les opposants ont donc des positions particulièrement vulnérables dans un pays où la situation politique n’a jamais été stable. Le Bangladesh a d’ailleurs été retiré de la liste des pays d’origine « sûrs » par le Conseil d’Etat français en 2013 pour ces raisons.

  • Des motifs secondaires : Les autre motifs, minoritaires, évoqués par les réfugiés bangladais et bangladaises sont souvent liés à ces tensions politiques et sociales qui animent leur pays, par exemple eu égard à leur orientation sexuelle. La situation des femmes des milieux populaires, bien qu’en progrès, reste difficile, on le constate notamment par le nombre de mariage précoce. En effet, ce pays fait parti de ceux ayant la plus grande proportion d’enfants mariés.

UN PEUPLE EN MIGRATION VERS L’EUROPE

  • Du Moyen Orient à l’Europe : La diaspora bangladaise est particulièrement importante dans les pays du Golfe et dans les pays limitrophes comme l’Inde. En effet, depuis l’indépendance, des masses de travailleurs et travailleuses (principalement pour l’industrie et le travail domestique) sont recrutés par le Moyen Orient pour répondre aux besoins de main-d’œuvre. Cette perspective de travail pour les Bangladais et Bangladaises est toutefois loin d’être rose : comme l’ont montré de nombreuses ONG et médias, ils sont exploités, parfois réduits en esclavages, privés de liberté pour des salaires dérisoires. De plus, les flux se sont taris ces dernières années et le Golfe ne constitue plus une débouchée aussi importante pour la main-d’œuvre, ce qui explique pourquoi beaucoup se dirigent maintenant vers l’Europe.
  • De la Libye à l’Europe : à cause de la guerre qui agite la Lybie depuis les années 2010, les Bangladais qui y travaillaient ont fui le pays, pour tenter de rejoindre l’Europe, loin d’être leur horizon privilégié avant ces évènements. Les conditions actuelles de migration vers l’Europe ont en effet été le résultat de cette instabilité et du développement de réseaux de passeurs. Aujourd’hui, les migrants payent plus de 10 000 $ pour rejoindre la Lybie, par de nouvelles routes passant par les Emirats ou la Turquie, avant de s’embarquer vers les côtes européennes. Tout cela est organisé par les dalal, des passeurs qui promettent aux personnes migrantes visa et travail en échange de telles sommes. Ces périples sont dangereux : en utilisant les services des passeurs, les Bangladais risquent de se faire extorquer de l’argent, leurs papiers d’identité, d’être soumis au travail forcé ou pour les femmes de tomber dans des réseaux de prostitution. Beaucoup périssent également dans la traversée meurtrière de la Méditerranée.
  • En France, peu de migrants bangladais obtiennent le statut de réfugié : par exemple, en 2016, seules 7,6% des demandes d’asile ont été acceptées par l’OFPRA. Selon Jérémie Codron, spécialiste du Bangladesh à l'Institut national des langues et civilisations orientales, la communauté bangladaise en France serait toutefois très fortement organisée et prendrait en charge ces personnes arrivantes quelque soit leur statut, leur évitant ainsi les camps de migrants.