Le changement climatique, première cause de migration

FocusPublié le 3 mars 2019
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On parle parfois de changement climatique comme s'il ne concernait que la planète et non ceux qui l'habitent

Déplorait Ban Ki-Moon en 2008 alors qu'il occupait la fonction de secrétaire général des Nations-Unis. En effet, ce phénomène impacte les hommes de différentes façons, l'une d'entre elles est la contrainte à l'exil. Aujourd'hui, on estime à environ 25 millions le nombre de déplacés climatique chaque année. Le changement climatique est désormais la première cause de migration avant les conflits et les guerres. Ce n'est pas une nouveauté mais comme l’explique l'expert climat de l'ONG CARE France, Marie Leroy, à France culture, "le risque pour les humains d'être contraints du fait du changement climatique est 60 fois plus grand aujourd'hui qu'il y a 40 ans". Les perspectives d'avenir sont aussi inquiétantes : selon le GIEC, à situation inchangée, la température augmentera de 4 degrés avant la fin du XXIe siècle, or, on sait désormais qu'une augmentation de seulement 2 degrés aura des conséquences catastrophiques.

LES CAUSES CLIMATIQUES DE L'EXIL

Les conséquences du réchauffement climatique qui poussent les hommes à fuir sont nombreuses et diverses :

  • Les catastrophes naturelles : La conséquence la plus flagrante du réchauffement climatique pour le grand public est en effet le risque accru de catastrophes naturelles (elles ont toujours existé mais les scientifiques prévoient désormais une fréquence accrue : dans l’avenir, jusqu’à 6 catastrophes pourraient se produire simultanément). C'est avec l'ouragan Katrina que l'on a découvert que les catastrophes engendraient des flux migratoires. Avant on pensait qu'il s’agissait de déplacements temporaires. Après Katrina : "un peut moins de 50% de la population de La Nouvelle-Orléans n’est jamais revenue dans la ville", signale un rapport de l'Observatoire des enjeux géopolitiques de la démographie. Cette carte illustre le nombre de déplacements causés par des catastrophes naturelles entre 2008 et 2013 :
  • La hausse de niveau des mers et des océans : 20% de la population mondiale vit sur des zones côtières menacées par la montée du niveau des mers et des océans ainsi que par les inondations engendrées par le réchauffement climatique. Récemment, des scientifiques ont alerté sur le possible décrochage de deux glaciers. Si ce risque n’est pas endigué "ces deux glaciers qui sont le point faible de l’Antarctique de l’ouest pourraient entraîner dans leur retrait une grande partie de la calotte avec pour conséquence une élévation du niveau de la mer de l’ordre de 3 mètres", explique le glaciologue Gaël Durand dans une interview accordée à 20 minutes. Le scientifique confirme que la communauté scientifique soupçonne fortement que le réchauffement climatique soit la cause de ce décrochage. La montée des eaux, c’est l’un des fléaux qui touche le Bangladesh. Dans ce reportage du Monde, un homme d'un village côtier, explique qu'avec la montée des eaux, au moins 20% des habitants de son village ont "décidé" de s'en aller :

  • La raréfaction des ressources et la désertification : Le stress hydrique (quand la demande en eau dépasse les ressources disponibles) et la désertification affectent les rendements agricoles et causent de migrations."Le phénomène est particulièrement marqué en Afrique subsaharienne, qui connaît un exode rural important, et devrait s’amplifier dans les années à venir. C’est notamment le cas pour les populations pastoralistes en Somalie. D’ici 2030, les migrations en provenance de la bande sahélienne vers l’Europe et le Maghreb devraient s’amplifier", précise l'Observatoire des Enjeux Géopolitiques de la Démographie. En effet, fin 2017, le directeur régional du Conseil norvégien en charge des réfugiés (NRC) déclarait à propos de la sècheresse en Somalie : « Nous sommes préoccupés par le niveau inquiétant de la crise. En moyenne, on estime à 3500 environ, le nombre de personnes qui ont fui leurs maisons chaque jour au cours de cette année, à la recherche d’eau et de nourriture pour survivre ».
  • Les conflits et les guerres (des conséquences du changement climatique à relativiser) : Nombreux sont ceux qui analysent désormais le réchauffement climatique comme facteur d’instabilité politique et de conflits. Par exemple, un rapport du Programme des Nations Unies pour l'environnement met en évidence 18 conflits violents résultants des effets des changements climatiques entre 1990 et 2009. Cependant, les auteurs d'une tribune publiée dans le quotidien Reporterre en juillet 2017 relativisent la corrélation : "Surévaluer l’importance des facteurs environnementaux dans le déclenchement d’un conflit, c’est faire l’impasse sur la myriade d’autre facteurs historiques, politiques, sociaux et économiques concernés qui engagent directement la responsabilité des gouvernements. (...) Alors que les déclarations de Bachar El Assad tentent de dédouaner le régime syrien en présentant la sécheresse qui a frappé la Syrie comme une manifestation directe du changement climatique, celle-ci est d’abord le résultat de décennies de gestion calamiteuse des ressources hydriques et d’irrigation intensive. En outre, la suppression des subventions publiques en 2008-2009 dans le secteur agricole a encore davantage paupérisé les paysans, alors contraints à quitter leurs terres pour rejoindre les villes du pays, déjà saturées par l’arrivée massive de réfugiés irakiens."

Les conséquences du changement climatique sont multiples et peuvent difficilement être isolées les unes des autres, ainsi le manque de ressources en eau peut être facteur de conflits, et les catastrophes naturelles ont des conséquences économiques majeures...

CARACTÉRISTIQUES DES MIGRATIONS CLIMATIQUES

  • Un type de migration (principalement interne) qui va croître dans les prochaines décennies : Les perspectives d'avenir ne laissent guerre de doutes sur la croissance de ce phénomène. Même si nous réussissons collectivement à agir positivement sur la planète pour tenter d'endiguer le réchauffement climatique, ce type de migration risque tout de même d'augmenter. Mais le nombre de personnes contraintes à l'exil à cause des conséquences du changement climatique sera encore plus grand si la communauté internationale n'agit sur le climat. Un rapport de la Banque mondiale publié en 2018 est plutôt explicite lorsqu'il s'agit des zones les plus vulnérables : "D’ici 2050, si rien n’est fait, il y aura 143 millions de migrants climatiques internes dans ces trois régions : Afrique subsaharienne (86 millions), Asie du sud (40 millions) et Amérique Latine (17 millions)". Il est en effet important de préciser à cette étape de l'article que les migrations se font d’abord de manière interne aux pays et aux régions (souvent des zones rurales vers les villes mais à long terme cela peut provoquer une surpopulation dans les villes et donc un chômage de masse qui pousse à des migrations internationales).
  • Tous vulnérables : Considérer que le risque ne porte que sur des populations asiatiques, d’Afrique subsaharienne et d’Amérique latine est une erreur commune, nous sommes tous concernés mais à des degrés différents. À l'heure actuelle, l'est de l'Australie subit une sécheresse record qui décime les troupeaux et empêche les récoltes depuis plusieurs années. Dans un reportage publié dans le premier numéro de mars 2019 du magazine TIME, une fermière australienne explique qu'elle et son époux se sont donnés encore une année avant de partir, une année à attendre la pluie. Un autre exemple récent et bien plus proche nous montre bien que nous sommes tous vulnérables : En 2018, les inondations dans l'Aude (France) on fait 14 morts. Dans des propos rapportés par Marianne, Françoise Vimeux (de l'Institut de Recherche pour le Développement) explique que "dans le sud (de la France), la sécheresse qui va s'installer, et ses températures très élevées, vont amplifier l'apparition de crues éclairs meurtrières… (...) Le relief et la météorologie de ces territoires en font une zone propice aux évènements de pluie extrêmes. (...) Mais le réchauffement climatique va venir amplifier cette base, cette propension naturelle à récupérer des pluies.". Certaines personnes déménagent déjà des zones inondables et si par une action sur le climat et des infrastructures adaptées les gouvernements n'agissent pas, de nombreuses personnes risquent de devoir migrer ailleurs en France.

L’ATTITUDE DE L’EUROPE ET DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE

« réfugiés climatiques », « réfugiés environnementaux », des notions quasiment absentes du droit international : Le statut de "réfugié" est établi en 1951 par la Convention de Genève et ne comprend pas les migrations climatiques. Un réfugié est celui qui craint d'être persécuté s'il retourne dans son pays "du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques". On constate l’absence de mention du climat parmi les causes de persécutions. Cela s’explique en partie par le fait qu'il s'agit davantage de migrations internes et que pour certains, le terme de "persécution" est impropre pour parler du climat. Aujourd'hui en Europe, seule la Suède reconnaît le statut de réfugié environnemental (depuis 2005).

Prise de conscience tardive et manque d'actions de la communauté internationale :

  • 1985 : Première apparition du terme de « réfugiés environnemental » dans un rapport du programme des Nations unies pour l’environnement.
  • 2009 : La COP15 en fait pour la première fois une question au niveau politique.
  • Depuis 2009 : De nombreux pays africains ont ratifié la Convention de Kampala sur l’assistance des déplacés environnementaux à l’intérieur du continent africain.
  • 2015 : L’accord de Paris crée un groupe de travail sur la question dont les conclusions ont été transposées dans l’accord de Katowice.
  • 2018 : Le pacte migratoire de Marrakech mentionne (pour la première fois) le changement climatique parmi les causes de départs forcés. Pour autant ce pacte n’impose aucune contrainte aux états sur ce sujet.

Ces accords, pactes et traités sont souvent critiqués à cause du manque d'actions concrètes qui suivent leur signature. Avec un budget alloué oscillant ces dernières années entre 5 et un peu plus de 7 millions, le Haut commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés ne peut pas agir directement sur les migrants climatiques puisque ceux-ci ne rentrent pas dans la catégorie des réfugiés. Pour le Think Tank Pour la Solidatité , "Bien qu’elle soit tout de même présente dans les médias grâce aux actions de la société civile et notamment des ONG, la question des réfugiés de l’environnement ne parvient pas à mobiliser les politiques. (…) Les pays du Nord sont particulièrement «silencieux» à l’instauration d’une meilleure protection juridique pour les déplacés de l’environnement dans un contexte où les discours entourant les politiques migratoires et leurs enjeux sécuritaires sont tendus" (rapport de 2016).