Erythrée : une prison à ciel ouvert

FocusPublié le 6 novembre 2017
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Après la Syrie, l’Irak, l’Afghanistan et le Nigeria, l’Erythrée est le 5e pays de provenance des migrants qui sont arrivés par la Méditerranée sur les côtes grecques et italiennes en 2016. Les Erythréens qui migrent vers Europe sont pour la majorité des jeunes de moins de 25 ans fuyant le service militaire, la misère et les mauvais traitements. La France n’est pas première destination des Erythréens qui pour la plupart déposent leurs demandes d’asile en Suède, en Allemagne et en Suisse.

L’Erythrée est un petit pays de la corne de l’Afrique au bord de la mer rouge. Il fait frontière avec le Soudan, l’Ethiopie et la République de Djibouti. Ce jeune pays s’est progressivement transformé en un état prison. De nos jours, des dizaines de milliers d’Erythréens fuient chaque année leur pays et tentent de rejoindre l’Europe.

L’HISTOIRE DE L’ERYTHRÉE

Pour comprendre ce qui pousse depuis plusieurs années la population à l’exil, il est nécessaire de revenir sur l’histoire de la région

  • De la colonisation italienne au conflit avec l’Ethiopie : Ce jeune pays était jusqu’à son indépendance en 1993 une région de l’empire éthiopien. L’Erythrée a été colonisée par l’Italie dès le XIXe siècle. Le reste de l’Ethiopie parvient néanmoins à rester souveraine jusqu’à l’entre-deux-guerres. Après la deuxième guerre mondiale, l’Erythrée ainsi que l’Ethiopie conquise par l’Italie fasciste dans les années 1930 passe sous le contrôle des Anglais.
    Le sort de la région est laissé aux alliés qui en 1950 décident d’une solution intermédiaire : l'Érythrée devient la quatorzième province d’Ethiopie, un territoire autonome sous souveraineté éthiopienne. Mais l’Erythrée sous domination italienne s’est peu à peu forgée une identité régionale propre. L’empereur éthiopien Hailé Selassié prend alors des mesures pour atténuer les spécificités érythréennes : interdiction des partis politiques nationalistes et de l’usage du tigrinya (langue majoritaire en Erythrée) dans les documents officiels. Pour l’empereur, la récupération de l’Erythrée permet au pays de retrouver un accès à la mer.
  • La guerre d’indépendance : Le rattachement de l’Erythrée à l’Ethiopie engendre des tensions de la part des indépendantistes. Un conflit entre les deux pays éclate et durera 30 ans (1961– 1991). Paradoxalement, les Erythréens demandent le retour aux tracés des frontières mises en place par les colons italiens. Cette lutte trouve rapidement le soutien des Forces Populaires de Libération (FPLE), un groupe marxiste qui prend la tête de la guérilla. Issayas Afewerki, leader du FPLE, deviendra ainsi le chef du nouvel État érythréen. Le 24 mai 1991 sonne la fin de la guerilla.
  • L’établissement de la dictature : Malgré l’accord signé en 1993 qui met fin à la guerre et reconnaît l’indépendance de l’Erythrée, les deux pays ne s’entendent pas sur le tracé des frontières. Quelques années s’écoulent seulement avant qu’ils ne reprennent les armes. La guerre contre l’Ethiopie qui fait feu entre 1998-2000 coute la vie à plus de 100 000 jeunes et soulève des contestations aux seins des membres du parti. Issayas Afewerki durcit alors sa politique pour contrer ses opposants politiques. En septembre 2001, suite à un putsch avorté, il prend des mesures totalitaires : les réformistes sont écartés du gouvernement, les journaux privés sont interdits et le projet de Constitution abandonné. Le pays se transforme progressivement en état-prison. Selon un rapport d’Amnesty International de 2013, 10 000 prisonniers politiques seraient détenus en Erythrée sans avoir été inculpés ou jugés. On dénombre plus de 300 camps de détention dans le pays. Les prisonniers subissent tortures et traitements inhumains.

LES CAUSES DU DÉPART

Aujourd’hui, Issayas Afewerki est à la tête du pays depuis plus de deux décennies. Aucune élection n’a jamais été organisée, le système politique repose sur un parti unique dirigé par un chef suprême prônant une idéologie marxiste-léniniste et suivant une économie planifiée. Cependant, derrière des apparences d’égalitarisme se cache un système totalitaire dans lequel Etat, parti et société se confondent. On surnomme ainsi le pays, la Corée de Nord de l’Afrique. L’ancien héros de la lutte indépendantiste a transformé le pays en un de camp de travail forcé.

  • Le service national, instrument d’oppression : En 1994, il crée un service national obligatoire pour tous les hommes et les femmes dès la fin de l’école obligatoire. Le service peut être civil ou le militaire puisque le régime contrôle toute la société. Les jeunes servent de main d’œuvre gratuite tout en étant éduqués aux valeurs du parti, notamment le sacrifice pour la nation au détriment des libertés individuelles. En 2002, après la défaite de la guerre contre l’Ethiopie le régime étend le service à une durée indéterminée. Dans les faits, le service national s’apparente à une forme d’esclavage, une prise d’otage de la jeunesse. Les traitements violents et le viol des femmes sont fréquents. La brutalité et les tortures que subit la population soumis à ces travaux forcés poussent les jeunes à fuir vers l’étranger. Il est difficile de quitter légalement le pays et la désertion est considérée comme une trahison antipatriotique.
  • Une pauvreté extrême : En 2013, l’Erythrée est classé 181e sur 187 sur l’échelle de l’ONU en matière de développement humain. La mise en place du service national n’a généré aucune croissance et a fait échouer le plan économique du régime. Les zones rurales sont privés de main-d’œuvre ce qui provoque de la malnutrition. Le gouvernement qui refuse toutes aides internationales peine à développer le pays qui n’a pas assez de ressources pour être autosuffisant. L’accès à l’eau propre notamment reste un problème majeur. Selon le rapport d’UNICEF (9 janvier 2017), près de 2 millions d’Erythréens seraient en situation d’insécurité alimentaire dont 60% d’enfants (sur une population estimée à 5 millions).
  • Des atteintes aux droits de l’homme : Human Rights Watch dénonce les nombreuses violations des Droits de l’Homme en Erythrée comme les tortures des prisonniers, le travail forcé que représente le service national, les arrestations et détentions arbitraires, les limites à la liberté de circulation et l’absence de liberté d’expression. Le classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières classe en 2017 l’Erythrée en avant-dernière position, avant la Corée de Nord. Mais la dictature érythréenne reste encore largement inconnue du reste du monde et ce, probablement, à cause de l’absence d’enjeux politiques internationaux ; le pays n’a pas de pétrole, ni d’armes nucléaires.

LES CONDITIONS DE L’EXIL

L’ONU estime que sur une population de 5 millions, 1 million d’Erythréens se sont évadés depuis 2004 vers le Soudan et l’Ethiopie. Pour empêcher les fuites du pays, les frontières sont protégées par des champs de mines. De plus, les gardes-frontières reçoivent l’ordre de tirer sur les fuyards.

  • Vers le Soudan puis vers l’Europe : La première étape est, pour la plupart, les camps de réfugiés en Ethiopie ou au Soudan dans laquelle les conditions de vie sont très précaires. Pour ceux qui y parviennent, le périple jusqu’aux côtes européennes dure souvent des mois, voire des années, et coûte plusieurs milliers d’euros à chaque individu. Aujourd’hui, plus de 100 000 réfugiés Érythréens se trouvent au Soudan et 100 000 en Ethiopie où ils vivent confinés dans des camps sans qu’on leur accorde l’autorisation de travailler.
  • Kidnappés au Soudan, vendus en Egypte : Les fugitifs sont enlevés par des tortionnaires à la frontière entre l’Erythrée et le Soudan. Ils sont vendus par des trafiquants Rashaidas aux Bédouins du Sinaï. Une étude publiée en 2013 révèle l’existence d’un monstrueux trafic d’êtres humains (The Human Trafficking Cycle, Sinai and Beyond). Parmi les 50 000 Erythréens qui seraient passés par le Sinaï entre 2009 et 2013, 10 000 sont morts ou disparus. Les Erythréens kidnappés sont torturés et détenus jusqu’à ce qu’une rançon soit payée par leurs proches. Certains trafiquants bédouins sont impliqués dans le trafic d’organes et ont tué des migrants pour revendre leurs organes à des médecins égyptiens. Les opérations militaires menées par l’Egypte contre les djihadistes dans le Sinaï ont permis de réduire ce trafic humain, même s’il semblerait, selon AlJazeera, que ce type d’enlèvement se serait déplacé vers la Libye.
  • La route principale, vers l’Europe en passant par la Libye : Une grande partie des Erythréens embarquent pour l’Europe en Libye. Le 3 octobre 2013, le naufrage d’un bateau au large de Lampedusa a coûté la vie à plus de 300 migrants africains dont une majorité d’érythréens.
  • L’impôt, un contrôle du gouvernement au-delà des frontières : Bien que le gouvernement érythréen sanctionne les familles de ceux et celles qui osent partir (amende d’environ 15 fois le salaire moyen annuel), l’exode profite aussi à la dictature qui en fait une source importante de revenu. En effet, la diaspora est forcée de payer 2% de son salaire au gouvernement. Cet impôt illégal permet de renflouer les caisses d’un état qui maintien ainsi un contrôle sur les exilés. Cependant il est probable que ceux qui fuient illégalement ne la paient pas car ils n’ont pas l’espoir de rentrer. Pour les convaincre, le gouvernement érythréen prétend que ceux qui s’acquittent de la taxe ne subiront pas de représailles s’ils rentraient. Dans les faits, payer la taxe ne garantit aucune sécurité et nombreuses sont les arrestations à la frontière.

LES MIGRANTS ERYTHRÉENS EN EUROPE

Les migrants érythréens sont pour la plupart des jeunes qui fuient le service national et la politique répressive du régime. Lorsqu’ils arrivent en Europe, la plupart des Erythréens expliquent avoir déserté et craindre les répressions. En France, l’OPFRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) a analysé 1243 dossiers érythréens en 2016. Les personnes dont la nationalité érythréenne est établie par l’Office sont reconnues en tant que réfugiés. Toutefois seulement 45% des demandeurs d’asile érythréens parviennent à obtenir ce statut. Ce chiffre s’explique en partie par le nombre d’éthiopiens se faisant passer pour des Erythréens afin d’obtenir l’asile.